Thérapies des Troubles thymiques :
de la mélancolie hippocratique aux « Bipolars and Depressive Disorders » du DSM 5.
DR Jean GARRABE
J’ai lors de notre dernier Mercredi de l’Hôpital Henri Ey rapporté la manière dont mon maître a présenté dans ses Etudes sa conception organo-dynamique des psychoses maniaco-dépressives et je voudrai éviter aujourd’hui, surtout pour ceux des participants qui y étaient présents, de me répéter, encore qu’instruit par les questions posées lors de la discussion et j’ai vu qu’il était peut être bon de le faire, bis repetita placent. En outre j’ai appris vendredi dernier lors d’un colloque où nous présentions la nouvelle Classification Française des Trouves mentaux révisée 2015 que beaucoup de psychiatres en formation nourris au DSM 5 continuent à se référer au Manuel qu’Henri Ey a publié avec Paul Bernard et Charles Brisset pour apprendre la psychopathologie ; on peut m’ont-ils appris se procurer gratuitement par internet des éditions piratées ;je me demande si je dois continuer à conserver dans ma bibliothèque les éditions papiers que j’ai.
La mélancolie.
Les médecins ont, pendant des millénaires, continué à utiliser le terme de mélancolie pour désigner un état particulier de tristesse, le taedium vitae, dégoût de vivre, qu’ils attribuaient conformément à la théorie des quatre humeurs fondamentales de la médecine hippocratique elle-même associées à celle des quatre éléments de la nature (air, feu, eau et terre) à l’engorgement par la bile noire de la rate. Le nom de cet organe était en vieux français « spline » vocable qui a donné, en revenant à l’âge romantique de l’anglais en français moderne, « spleen ». N’oublions jamais l’étymologie des termes que nous utilisons pour parler des maladies ou des troubles mentaux.
Des thérapies censées désengorger la rate de la bile noire, comme l’ellébore ou le rire qui, pour Rabelais était le moyen le plus efficace de désopiler cet organe vont être utilisés jusqu’à la fin du XVIIIe siècle pour traiter la mélancolie « quand on se fait de la bile » comme on le dit encore de nos jours. A la Renaissance où les médecins étaient en même temps astrologues des horoscopes étaient établi pour connaître la position de Saturne au moment de la naissance du futur mélancolique et des médecins plus ou moins connus comme le médecin d’Henri IV André Du Laurens (1558-1609), ou celui de Catherine de Médicis et de Louis XIII Philotée Elianus Montalto (1557-1616) , ont publié à Paris d’importants ouvrages sur les « maladies mélancoliques » et leur traitement que je ne peux analyser aujourd’hui ; je viens de publier dans les Annales Médico-psychologiques un article sur le second qui célèbre en son temps est complètement publié de nos jours des historiens de la médecine car il a écrit son Archipatologia en latin (1). Il a activement participé aux polémiques entre juifs, chrétiens, catholiques, protestants et musulmans qui à Paris remontent à la Renaissance. Mais même si Marcel Proust parle encore dans le Temps retrouvé d’un récit « désopilant » que fait , pour faire rire ses amis, un des personnages de son roman ces idées sur le rôle de l’engorgement de la rate par la bile et les traitements qu’elles inspirent vont être abandonnés à la fin de l’Age classique lorsque Philippe Pinel en dénonce , en l’an IX de la République, l’absurdité et l’inutilité ; il est vrai que la Terreur n’était pas un temps qui portait spécialement à rire.
La mélancolie forme d’aliénation.
Pour Pinel en effet la mélancolie est une des quatre formes d’aliénation mentale qu’il reconnaît alors et relève, comme telle, du traitement moral, le fameux dialogue avec l’insensé, qui suscitera l’admiration de Hegel. Il considère qu’alors que dans la manie le délire est total, dans la mélancolie il n’est que partiel portant que sur un seul objet. Pinel était très fier d’avoir guéri grâce au traitement moral son condisciple à Montpellier et ami Chaptal qui finira ministre de l’Intérieur lui facilitant la tâche de libérer les folles de la Salpêtrière de leurs chaînes de fer ; par contre il parlera à plusieurs reprises d’un jeune mélancolique qu’il n’a pu sauver de la mort, échec qui l’a beaucoup marqué.
Son élève J.E.D. Esquirol proposera de nommer « lypémanie » cette forme particulière d’aliénation et insistera sur l’importance des idées de suicide qui la caractérise et sur la difficulté à prévenir les conduites d’autodestruction extrêmement fréquentes chez ces malades. La médecine romantique oppose cette aliénation mélancolique ou « folie suicide » à celle de la manie, terme qui cesse dès lors de désigner la folie en général –c’est là le sens qu’il avait dans la médecine hippocratique – pour ne désigner désormais qu’ une autre forme d’ aliénation caractérisée par une exaltation de l’humeur ou mieux de la thymie ; c’est l’ancienne « folie furieuse » celle que l’on enchaînait même s’il y a aussi des « manies douces ». Les aliénistes vont aussi s’intéresser à certaines formes de suicide qui apparaissent marquées du sceau de la pathologie mentale comme le « suicide à deux » où le mélancolique entraîne dans la morts les êtres auxquels il est le plus lié affectivement , par exemple ses enfants quand c’est une mère qui commet cet acte pour leur éviter de souffrir de sa propre mort.
Folie circulaire ou périodique ?
Mais au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle des médecins vont proposer en France puis dans des pays de langue allemande, de réunir ces deux folies opposées en une maladie mentale unique. Jean-Pierre Falret (1794-1870) parle d’une folie « circulaire » alors que Jules Baillarger (1809-1890) parle lui de folie « à double forme », ces deux désignations un peu différentes indiquant deux des caractéristiques de cette nouvelle entité nosologique à savoir d’une part la circularité ou cyclicité des crises et de l’autre leur polarité opposée.
Emil Kraepelin, lui, après avoir longtemps hésité finira par définir dans le système nosographique qu’il a édifié dans les éditions successives de son Traité une folie maniaco-dépressive où « dépression » désigne désormais un de ces deux pôles, celui de l’ancienne mélancolie. Notons au passage l’apparition dans le langage de la psychopathologie de ce terme « dépression » utilisé par les météorologues pour parler de la diminution de la pression atmosphérique, mais nous ne disposons toujours pas de ce baromètre de l’âme comme disait Jean-Jacques Rousseau, qui nous permettrait de mesurer les variations de la cyclothymie comme on le fait pour celle atmosphérique des cyclones et des anticyclones ce qui permet de prévoir et d’annoncer leur arrivée à temps pour se mettre à l’abri et limiter autant que faire se peut les dégâts qu’ils provoquent . Kraepelin s’est attaché jusqu’à le fin de son œuvre de distinguer cette folie maniaco-dépressive de l’autre grande psychose de son système nosographique la Dementia praecox dont il rassemble les formes cliniques catatonique, hébéphrénique et paranoïde; s’il y a dans ces états comme d’ailleurs dans la troisième psychose du système kraepelinien, la Dementia paranoides ou paranoïa , des variations de l’humeur qui peuvent s’accompagner d’idées de suicide elles n’ont pas le même caractère cyclonique qu’elles ont dans les folies circulaires. Rappelons qu’il y a pour Kraepelin une forme mixte de folie maniaco-dépressive c'est-à-dire la survenue périodique de crises où le clinicien observe l’existence de symptômes de mélancolie et de manie. Ce sont des auteurs français du début du XXe siècle qui vont parler non plus d’une folie comme le faisait Kraepelin mais d’une psychose maniaco-dépressive.
J. Starobinski qui a publié une Histoire du traitement de la mélancolie des origines à 1900 (2) où il parle des thérapeutiques proposées jusqu’à cette date souligne que Kraepelin dira à la fin du XIXe siècle, qu’ « il n’y a pas de traitement causal de la psychose maniaco –dépressive » citant la 8ème et dernière édition du Traité (1909-1915), celle-là même où Kraepelin affirme le plus fermement l’unicité de cette folie.
Si nous poursuivons l’étude du traitement de cette psychose au-delà de 1900 nous sommes frappés par un certain nombre d’observations importantes qui sont faites à son propos en particulier sur l’évolution de la mélancolie. Freud en rapprochant celle-ci, d’un point de vue métapsychologique du deuil, souligne que « la plus surprenante des particularités de la mélancolie, celle qui aurait le plus besoin d’être expliquée, c’est sa tendance à se muer en l’état symptomatiquement inverse, celui de la manie ; toutefois on le sait, toutes les mélancolies ne subissent pas le même sort » (3 p.211). Pouvons un siècle plus expliquer le pourquoi de cette surprenante mutation et surtout du fait qu’elle ne se produise pas toujours?
Surtout le champ sémantique de « dépression », vocable introduit par Kraepelin pour désigner la phase mélancolique de la PMD, va être ensuite aussi utilisé pour désigner des états pathologiques, qui ne sont pas des psychoses au sens structural du terme. Ces états très divers vont être aussi considérés comme des dépressions que l’on va qualifier de nerveuse, névrotique, de situation, atypique, réactionnelle, etc., états d’une durée variable mais qui ne sont jamais suivis d’une inversion maniaque de l’humeur. On parlera même familièrement de « déprime », vocable qui vient remplacer le « coup de cafard » dont se plaignait Baudelaire par métaphore de la couleur noire de la battis orientalisa. Le traitement de ces troubles thymiques a minima ne relève pas des mêmes méthodes que celui de la mélancolie. L’utilisation dans le langage médical du terme « thymie », du grec thumos, cœur ou affectivité, à la place d’humeur est devenue plus fréquente tardivement.
L’électrochoc.
Après la Seconde Guerre Mondiale s’est généralisée dans le traitement de la mélancolie la sismothérapie méthode qu’avaient introduite en 1941 Ugo Cerletti (1877-1963) et Lucio Bini (1908-1964). Je ne peux qu’évoquer rapidement les nombreuses controverses qui ont accompagné cette première méthode dite biologique que ce soit sur ses dangers, son efficacité réelle à long terme car si elle agit rapidement de façon spectaculaire sur l’accès mélancolique isolé, elle semble aussi raccourcir le temps qui le sépare du suivant et enfin la question de savoir sur quelle région ou partie de l’encéphale agit le courant électrique. Pour Jean Delay qui venait d’être nommé en 1945 titulaire à la Chaire de Clinique des maladies mentales et de l’Encéphale à Sainte-Anne lorsqu’on apprit que Joseph Lévy-Valensi dont il assumait l’intérim était mort en 1943 dès son arrivée au camp d’Auschwitz c’était au niveau du diencéphale. Cela faisait dire aux mauvais plaisantins qu’il faudrait changer la dénomination de la chaire en clinique des maladies mentales et du diencéphale. Ce qui est sans doute le plus condamnable est le traitement par électrochoc d’états dépressifs qui ne sont pas mélancoliques. Comme il y a dans la salle des praticiens qui se livrent je crois savoir à la condamnable entreprise de faire des présentations cliniques à l’Hôpital Paul Guiraud je leur laisserai le soin de présenter plus en détail les idées de ce médecin sur cette question de savoir la région de l’encéphale qui régule l’ « Horme» notion propre à la psychiatrie française ainsi que celle d’athymhormie qui tiennent une grande place dans ses conceptions. Monsieur Guiraud a été l’un des rapporteurs sur la psychopathologie des délires lors du premier congrès mondial de psychiatrie à Paris en 1950 et surtout il a publié en 1956 la Psychiatrie clinique (4) où dans la 5ème partie intitulée les « Syndromes Hormo -thymiques » il traite successivement :
I - du syndrome maniaque.
II- du syndrome mélancolique
III- de la psychose intermittente maniaque dépressive.
IV- du syndrome hébéphrénique caractérisé par l’anhormie et l’athymie.
V- et enfin de la doctrine de la schizophrénie où il parle de la théorie de Bleuler, de la schizophrénie de Minkowski et des tentatives de subdivision de ce groupe de psychoses notamment celle de Kleist et celles proposées lors de ce congrès de 1950.
Ce sont Constantin von Monakow et Raoul Mourgue qui ont, dans leur Introduction biologique à l’étude de la neurologie et de la psychiatrie(5) développé la notion de « hormé » qui a été reprise par des médecins français comme Guiraud et Delay. L’étymologie de ce terme est le grec hormè, qui signifie mouvement en avant, racine qui a aussi donné hormone. D’après Delay « chez un être pourvu de système nerveux, l’instinct est une force propulsive latente issue de la hormé, qui réalise la synthèse des excitations internes avec les excitations externes en vue d d’assurer l’adaptation de l’individu. A partir de l’instinct formatif se différencie, d’une part, la sphère des instincts et des sentiments qui en résultent, d’autre part, la sphère de l’orientation et de la causalité. Mais, née d’une matrice commune, la sphère de l’orientation et de la causalité n’est nullement émancipée de l’instinct où elle puise son dynamisme et sa capacité plastique ». C’est donc une conception psycho-dynamique de la vie somatique et psychique et l’on comprend que Guiraud en ait fait le fondement de ce qu’il reconnaissait en clinique comme des syndromes hormo –thymiques, qui remplaçaient en somme les psychoses maniaco-dépressives kraepeliennes .
Psychoses maniaco-dépressives et psychopharmacologie.
Starobinski nous parle dans son histoire du traitement de la mélancolie des médicaments utilisés jusqu’en 1950 pour traiter la mélancolie et calmer la douleur morale où les opiacés tiennent une grande place notamment sous forme de laudanum. Kraepelin a d’ailleurs consacré un ouvrage à la psycho pharmacologie à la fin du XIX siècle. Mais on date la naissance de la psychopharmacologie moderne, de la découverte faite par sérendipité en 1950 par l’australien John Cade de l’effet anti-maniaque des sels de lithium,(6 ) suivie par celle d’une molécule dérivé des phénothiazines, la chlorpromazine sur une partie de la symptomatologie des psychoses schizophréniques, découverte présentée, elle en 1952 dans deux publications par Delay, Deniker et Harl, suivie du grand colloque international sur les neuroleptiques de1955 à Sainte-Anne. Jeune interne j’ai été troisième signataire d’une communication sur l’effet sédatif étonnant de cette molécule sur les accès maniaques même les plus violents ce qui permit d’abandonner rapidement les autres moyens de contention que l’on était obligés d’utiliser jusque là dans les pavillons d’agités, même si les antipsychiatres dénoncèrent plus tard l’usage de ce qui n’est pour eux qu’une camisole chimique. Je serai volontiers, un peu méchante langue, en disant que l’on vit alors apparaître dans les pavillons d’agités des services de psychiatrie des psychothérapeutes de diverses obédiences qui ne fréquentaient guère jusque là ces unités de soins où l’on admettait les malades en proie à un violent accès de manie, les anciens « fous furieux » ; la malade dont nous présentions l’observation était en accès maniaque depuis des semaines ou des mois faisant craindre une mort par épuisement lorsque des perfusions de chlorpromazine la calmèrent en quelques heures. On ne pouvait guère Jusque là aborder la psychothérapie des malades maniaco-dépressifs que pendant les intervalles libres avec la crainte qu’une interprétation ou une simple remarque maladroite ne provoque une décompensation mélancolique ou maniaque.
Lorsque j’ai parlé à l’hôpital Henri Ey de l’utilisation thérapeutique des sels de lithium j’ai provoqué une vague de nostalgie dans l’assistance où certains se sont mis à évoquer les lithinés du docteur Gustin dont Georges Pérec (1936-1982) se demande où ils sont passés. En consultant Wikipedia qui m’a renvoyé sur un article savant j’ai découvert que le docteur Louis Gustin a réellement existé, qu’il a soutenu sa thèse en 1864 et qu’il faisait fabrique ses sachets de carbonate de lithium dans son laboratoire du 74 avenue Championnet dans le XVIIIe ; il faudra que j’aille me promener dans le quartier pour voir ce qu’il en reste. Mais surtout je voudrai rappeler que le sujet de la thèse de Charcot était le traitement par les sels de lithium ce que l’on nommait « folie goutteuse », c’est-à-dire les états de dépression qui suivent les crises de goutte rhumatismale qui sont extrêmement douloureuses. Etats qui ne seraient pas considérés de nos jours comme des dépressions d’autant que les attaques de goutte ne durent plus que quelques heures.
Les antidépresseurs
Cinq ans après le colloque international de Sainte-Anne sur les neuroleptiques donc en 1957 le psychiatre suisse Roland Kuhn (1912-2005) qui, notons le, avait une orientation phénoménologique publie un article sur le traitement des états dépressifs par un dérivé de l’iminodinenzile, l’imipramine). Je pense que c’est justement parce qu’il était phénoménologue (7) que Kuhn a remarqué que cette molécule avait un effet particulier, que c’était un « antidépresseur », découverte en somme confirmée par le fait qu’elle pouvait provoquer un virage brutal de l’humeur, le sujet passant brusquement de la dépression mélancolique à la manie aigüe.
Johan Schioldann, professeur à l’Université d’Adelaide en Australie méridionale, a publié en anglais aux Adelaide Academic Press une History of the Introduction of Lithium into Medecine and Psychiatry car les sels de ce métal ont été utilisés en thérapeutique dès 1859, (8).Comme notre ami est polyglotte il cite les auteurs dans la langue qu’ils ont employé pour publier leur travaux, le français, l’anglais, l’allemand ou le danois. La lecture des textes cités est intéressante car elle nous vaut des surprises sur l’histoire du traitement pharmacologique des troubles de l’humeur et en particulier sur l’effet singulier de ce corps chimique simple qui n’agit pas directement ni sur les accès mélancoliques, ni sur ceux maniaques comme le font la chlorpromazine ou l’imipramine mais est un thymo –régulateur. L’abord psychothérapique des psychoses maniaco-dépressives deviendra beaucoup seras plus aisé chez ces malades dont l’humeur est ainsi chimiquement stabilisée.
Après leur communication de 1952 à la Société Médico-psychologique sur la chlorpromazine (9) 1961 Delay et Deniker publient un ouvrage sur les Méthodes chimiothérapiques en psychiatrie(10) dont plusieurs chapitres sont particulièrement intéressants pour ce qui est du traitement des Troubles thymiques. Après un historique, qui va des médicaments classiques aux modernes, ils proposent une terminologie et une classification des psychotropes modernes où ils distinguent trois catégories :
A.-les psycholeptiques : 1) hypnotiques ; 2) Neuroleptique ou thymoleptiques 3) tranquillisants.
B.- Psycho-analeptiques (ou stimulants psychiques) :1) stimulants de la vigilance ou noo-analeptiques. 2) Stimulants de l’humeur (ou thymoanaleptiques) où figure l’imipramine. C) autres stimulants : vitamine C. et enfin
C.- Psycho dysleptiques ou perturbateurs psychique hallucinogènes ou dépersonnalisant où figurent les alcaloïdes des champignons hallucinogènes (10 P.16).
Ce qui me paraît intéressant est que cette classification ne repose pas du tout sur la structure chimique des molécules recensées mais sur leurs effets sur le psychisme des sujets qui les absorbent. Delay et Deniker insistent : « les effets psychiques d’un même produit peuvent varier considérablement : selon la dose et le mode d’introduction, selon le mode d’administration , et selon le type de réactivité des sujets…selon la posologie on peut observer des variations d’effet tels qu’ils entraînent le changement de catégories de classement…l’usage chronique est susceptible de faire varier la catégorie d’effets obtenus …il n’est pas jusqu’à la réserpine qui ne puisse entraîner en cure chronique des états de dépression qui peuvent aller jusqu’à la mélancolie..l’étude des modes de réactivité des sujets constitue à elle seule un chapitre important de la psychopharmacologie…certains psychotropes n’ont pas le même effet chez les malades mentaux et chez les sujets normaux : un exemple frappant est celui des antidépresseurs qui n’agissent que chez les patients déprimés …un médicament stimulant appliqué à un sujet asthénié entraînera l’euphorie, alors que chez un déprimé elle peut déclencher l’angoisse … enfin le moment psychologique-ou physiologique- de l’intervention est à considérer : les psychiatres savent bien qu’un traitement efficace lors d’un accès peut être inopérant lors d’une crise ultérieure identique » (p.17). Je ne sais pas si ces remarques peuvent expliquer la surprenante prescription d’un banal antalgique par le docteur Lacan pendant l’Occupation à Pablo Picasso qui conserva précieusement cette ordonnance comme il le faisait d’ailleurs pour tous les papiers le concernant.
Il est donc impossible de dissocier dans le traitement d’un sujet mélancolique la prescription d’un médicament psychotrope de l’environnement psychologique personnel et familial et même culturel dans lequel il vit son accès.
C’est peut être pour ne pas avoir donné assez d’importance à ce point qu’éclatera la retentissante affaire médico-légale provoqué par le passage à l’acte du philosophe Louis Althusser (1918-1990) , suivi de longue date pour une psychose maniaco-dépressive, et qui le 16 novembre 1980 lors d’un suicide à deux « rata », après avoir étranglé sa femme Hélène Rytman , son propre suicide. La polémique entre les médecins qui l’avaient fait immédiatement interner et les magistrats portait sur le fait que ceux-ci considéraient qu’il n’aurait dû l’être qu’après une expertise médico-légale pour déterminer s’il était ou non en état de démence au sens de l’article 64 au moment des faits ce qui aurait permis au juge , outre de prononcer un non-lieu de procéder à un internement d’office judiciaire alors que les médecins pensaient qu’il était plus urgent de le traiter. Le respect des procédures légales ne concorde pas toujours avec l’urgence thérapeutique d’une mélancolie.
Nosographie et classifications des troubles thymiques.
Les questions des classifications des troubles mentaux on été discutées en France depuis la seconde moitié du XIXe siècle et en particulier celle de savoir quel était l’objectif qu’elles visaient comme par exemple de recueillir des données statistiques épidémiologiques comparables dans d’un pays à l’autre pays. Ont donc étaient publiées à Paris puis à Genève plusieurs éditions d’une Classification Internationale des Maladies conçues dans ce but sur le modèle proposé en 1893 par le médecin et épidémiologue français Jacques Bertillon et qui font depuis l’objet de révisions périodiques.
Dans la Classification Française des Troubles Mentaux éditée par l’INSERM en 1968 figure une catégorie 01 Psychoses maniaques et dépressives divisée en dix sous-catégories :
01.0 Psychose maniaque et dépressive, accès mélancolique.
01.2 Psychose maniaque dépressive, accès maniaque.
01.3 Psychose maniaque dépressive, forme non classable en .o ou.1 (Etat mixte, forme circulaire, etc.)
01.3 Mélancolie d’involution.
01.4 Psychose dépressive réactionnelle.
01.5 Etat d’excitation maniaque réactionnel
01.6 Dépression psychotique de type mélancolique non classable en .O, .2, .3 ou .4.
01.7 Etat d’excitation psychotique de type maniaque non classable en.1, .2 ou.5
01.9 Psychose maniaque ou dépressive, forme non classable en .0 à O.7.
Il existe par ailleurs une autre Catégorie diagnostique :
13. Etats dépressifs non psychotiques qui comprend les sous –catégories : 13.0 Etat dépressif de type névrotique. Dépression névrotique et 13.1 Dépression réactionnelle non psychotique. Ces états dépressifs sont définis a contrario comme n’étant pas psychotiques
Cette classification française de 1968 est donc assez classique et sépare radicalement les accès mélancolique de la psychose maniaque-dépressive des dépressions névrotiques.
Mais lors du Congrès de l’Association Mondiale de psychiatrie à Honolulu en 1978 la section classification adopta une résolution demandant aux sociétés nationales de psychiatrie qui avaient une classification des troubles mentaux –elles n’étaient pas très nombreuses – de la réviser pour la mettre en correspondance avec le chapitre Troubles mentaux de la Classification Internationale des Maladies éditée par l’OMS ; or seule l’American Psychiatric Association procéda à la révision de la 2ème édition de son Manuel de Diagnostic Statistique pour publier en 1980 le DSM III sous la direction de Spitzer qui vient de mourir. Une des surprises que provoqua cette 3ème édition de ce manuel de diagnostic statistique fut l’abandon d’un certain nombre de termes considérés comme démodés tels que « névrose » et aussi « psychose » alors que l’adjectif « psychotique » est conservé mais essentiellement pour qualifier de médicaments dits anti- psychotiques. Cette édition ainsi que les suivantes DSM IV puis finalement en 2015 DSM 5 ont provoqué des polémiques sur la pertinence de certains choix non seulement terminologiques mais aussi conceptuels faits par les rédacteurs de chaque édition
Dans le DSM 5 où la mélancolie a disparu au moins sous cette dénomination comprend :
- D’une part les Bipolars and Related Disorders avec les catégories:
-Bipolar I Disorder -
Bipolar II Disorder – Other Specified Bipolar and Related Disorder 296-89
– Unspecified Bipolar and Related Disorder 296.80.
- E de l’autre les Depressive Disorders avec les Disruptive Mood Regulation Disorder 296.99 où figure le Major Depressive Mood Disorder qui correspond me semble-t-il en somme à la mélancolie, mais aussi le Persistent Depressive Disorder (Dysthymia) 300.4
Je ne peux pas revenir aujourd’hui sur l’historique les concepts de Troubles bipolaires et de Trouble unipolaire de l’humeur introduits par les travaux de Karl Leonhard à la fin de la Deuxième Guerre mondial sur les psychoses cycloïdes des auteurs allemands repris par d’autres auteurs européens avant d’êtres importés aux Etats-Unis. Disons simplement que ces auteurs ont constaté si une première dépression mélancolique est presque toujours suivie à plus ou moins long terme d’un accès maniaque, dans un certain nombre de cas cette mélancolie n’est pas suivie de ce virage de l’humeur mais qu’il se produit de manière répétitive au long de la vie d’autres épisodes dépressifs mélancolique.
Les classifications françaises
En France l’INSERM ne procéda pas à la révision de sa classification de 1968 (12) comme recommandé à Honolulu ; seuls un groupe de pédopsychiatres dirigé par le professeur Roger Misès publia pour les Troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent une CFTMEA dont la dernière révision toujours en concordance avec la 10ème révision CIM de l’OMS la CFTMEA R 2012 est parue en 2013. La question de la dépression chez l’enfant est particulièrement délicate car si elle ne prend pas à cet âge de la vie la forme d’une mélancolie d’adulte elle peut à l’adolescence, sous la forme de « dépressions atypiques » être le prodrome d’une évolution psychotique schizophrénique ou autre
Je ne puis m’appesantir aujourd’hui sur le bon usage des classifications médicales qui n’est pas enseigné aux étudiants de sorte que la plupart des médecins ne savent pas s’en servir et que, par exemple, des chefs de services hospitaliers de psychiatrie ne peuvent souvent pas connaître par ce moyen l’activité réelle du service qu’ils dirigent , ni communiquer des données statistiques exactes aux autorités sanitaires sur cette question pourtant essentielle pour le financement des activités de soins. Ils ne peuvent en particulier dire combien de malades sont suivis dans les institutions pour enfants, adolescents ou adultes pour « dépression », ni de quel type d’état dépressif il s’agit
La CFTMR-2015
Un groupe de psychiatre d’adultes d’orientation théorique diverses et de modalités d’exercice variées a sous ma direction et celle de François Kammerer rédigé ces deux dernières années une nouvelle Classification Française des Troubles Mentaux CFTM R 2015 dans le même esprit que la CFTME qui a été publiée à la fin de l’année dernière et présentée lors d’un colloque organisé le 29 janvier 2016 (14).
Pour ce qui est de la mélancolie et de la psychose maniaco-dépressive nous avons tenté d’éviter le piège dans lequel sont tombés, me semble-t-il, les rédacteurs des DSM successifs et qui consiste à regrouper un grand nombre de catégories diagnostiques dans des « spectres » de Disorders où l’ont retrouve des états très différents du point de vue psychopathologique. Ce qui est demandé aux sociétés nationales de psychiatrie n’est pas de proposer une classification qui serait valable dans le monde entier mais d’en concevoir une qui, tout en tenant compte des particularités de la clinique et de la psychopathologie dans le pays concerné, établirait des correspondances avec les catégories retenues pour le chapitre V (F) de la Classification Internationale des maladies de l’OMS qui prépare actuellement sa 11ème édition pour 2018.
Quelle sera alors la place de la mélancolie ?
Jean Garrabé
7 place Pinel 75013 jean.garrabe@wanadoo.fr
Textes cités.
1.-Garrabé J., Berrios G. Montalto Philoteus Elianus (1557-1616) Annales médico-psychologiques 173(2015) 892-899.
2.- Starobinski J. Histoire du traitement de la mélancolie des origines à 1900. Bâle : Geigy ; 1960.
3.- -Freud S. Métapsychologie. Paris : Gallimard ; 1952.
4.- Guiraud P. Psychiatrie clinique. Paris : Le François ; 1956.
5.- Monakow C.von, Mourgue R. Introduction biologique à l’étude de la neurologie et de la psychopathologie. Paris : Félix Alcan ; 1928
6.-Cade J. Lithium salts in the Treatment of psychotic excitement. Med. J. Aust.; 1949; 2; 349-352.
7.- Kuhn R. Phénoménologie du masque. Paris : Desclée de Brouwer ; 1957.
8. - Schioldann J. History of the Introduction of Lithium into medicine and psychiatry. Adelaide: Adelaide Academic Press; 2009.
9.- Delay J., Deniker P., Harl J. Utilisation en thérapeutique psychiatrique d’une phénothiazine d’action centrale élective (4560 RP) Ann. Méd.-psychologiques 110, 2, 1952, P.112-117
10- Delay J., Deniker P., Harl J. traitement des états d’excitation et de d’agitation par une méthode médicamenteuse dérivée de l’hibernothérapie. Anna. Méd.-psychologiques, 110,1, juin 1952, p.112-117.
11.- Delay J., Deniker P. Méthodes chimiothérapiques en psychiatrie. Les nouveaux médicaments psychotropes. Paris : Masson ; 1961.
12.- Classification Française des Troubles mentaux. Paris : INSERM ; 1958 ;
13. - Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. Fifth edition DSM-5. American Psychiatric Association ; 2013.
14.- Garrabé J., Kammerer F. Dir. Classification française des Troubles Mentaux. Rennes : Presses de l’EHESP ; 2015
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- Auteur : GARRABE Jean
- Titre : THERAPIES DES TROUBLES THYMIQUES
- Date de publication : 09-03-2017
- Publication : Collège de psychiatrie
- Adresse originale (URL) : http://www.collegepsychiatrie.com/index.php?sp=comm&comm_id=176