Trois axes d'enseignement
Journées d'études
Séminaires
Présentations cliniques
Dans les régions
Aquitaine
Centre
Isère
Strasbourg
Région parisienne
Projets
France
Europe

Rechercher

 



 

 

QUESTIONS ETHIQUES ET CLINIQUES - DECEMBRE 2014


"Ici, point de spectateur"




 

 

« Ici, point de spectateur »

 

 

 

Emmanuelle BENJAMIN

                                                                                                                   Journées d’étude E.P.C.O.-Collège de Psychiatrie

                                                                                                                   13 et 14 décembre 2014

 

 

Introduction :

Je suis Emmanuelle BENJAMIN, psychologue clinicienne, travaillant maintenant depuis près de quatre ans, plutôt auprès des enfants et adolescents.

Depuis deux ans, j’interviens aussi quelques heures à l’Université de Poitiers en tant que chargée de T.D. auprès des étudiants de Master 2 et 1 à propos de l’entretien clinique et en rapport avec les cours magistraux de S. Thibierge. J’évoque d’ailleurs, avec les étudiants de dernière année, les présentations cliniques car nous nous appuyons sur l’une d’elles, tirée de « Questions de clinique usitée et inusitée » des Jardins de l’Asile, menée par Marcel Czermak et celle-ci les fait à chaque fois vivement réagir.

Je participe aux activités de l’E.P.C.O. depuis que je suis arrivée dans la région en 2006, et à cette époque-là j’étais étudiante venant de Bordeaux. Là-bas, j’avais déjà entendu parlé de ce dispositif des présentations cliniques par l’entremise d’une autre association lacanienne.

            Aujourd’hui, je viens vous parler car Alain Harly m’a demandé d’apporter mon témoignage de ma participation à des présentations cliniques. Il s’agit plutôt d’un témoignage en quelque sorte « de terrain », que j’ai là, esquissé.

J’ai accepté car il s’agit d’un dispositif qui m’a accroché, je dirais les choses comme ça, et que quelque part, c’est aussi une manière de participer à ces présentations cliniques de venir en dire quelque chose aujourd’hui.

Que ça soit soumis à l’étude et à débat avec ces journées et ce grand atelier me semble aussi tout à fait intéressant et m’évoque également le cadre même et l’objet des présentations cliniques. C’est-à-dire quelque chose qui est aussi en débat avec les présentations cliniques, un groupe de professionnels est rassemblé à l’étude du discours du patient qui est là entendu et ils en débattent. Un savoir est situé du côté du patient, un savoir insu.

 

Ainsi, la forme même de journées d’étude choisie pour parler des présentations cliniques reprend quelque part aussi ce qu’elles sont.            

 

Une relance :

Je participe à des présentations cliniques depuis quatre ans. J’ai commencé finalement après avoir été diplômée et avant de travailler. J’avais donc déjà entendu parlé de ce dispositif à Bordeaux mais n’avait pas osé à l’époque y participer. J’avais l’impression que c’était plutôt ouvert à des personnes travaillant déjà.

Quand j’en avais entendu parlé, cela m’évoquait les présentations de malade que j’avais un peu étudiées avec l’histoire de la psychiatrie classique et par exemple Charcot, mais il me semblait aussi qu’il s’agissait d’autre chose. Cette impression, à l’époque, me venait de la présence de groupes de travail se penchant sur le discours du patient. Les choses étaient situées pas tout à fait de la même manière dans les deux cas. Et effectivement, il s’agit bien d’autre chose, je peux le dire maintenant après expérience. A la différence de ces présentations de malade de la psychiatrie classique, il ne s’agit pas aux présentations ou leçons cliniques d’illustrer une théorie par un maître orientant le patient à ces fins-là, mais de se laisser enseigner par la clinique, par le discours même du patient et ce qu’il présente.

Ainsi, j’ai participé aux présentations cliniques qui ont eu lieu à Saumur où Alain Harly et Michel Robin intervenaient puis à celles de Niort où intervient également Alain Harly, Bruno Lahély et des psychanalystes qui y sont invités.

Quand j’ai commencé à Saumur, celles-ci étaient en train de prendre fin. J’ai finalement assisté à deux temps, celui d’une fin de présentations cliniques avec Saumur et celui d’une « naissance », d’une mise en place de ce dispositif à Niort.

A chaque fois, j’ai fait partie des personnes venant « de l’extérieur », ne travaillant pas dans les hôpitaux où pouvaient ou peuvent se dérouler ces présentations cliniques. Je le précise car les choses se présentent sûrement de manière différente selon si nous venons de l’hôpital ou non. Nous allons par exemple, être attentif différemment si il s’agit d’un patient dont nous avons la charge ou non. La demande quant à ces présentations cliniques est aussi différente déjà pour chacun, mais aussi si la personne travaille dans cet hôpital ou non. Etre dans l’hôpital concerné ou ne pas y travailler exercent des choses différentes.

Les soignants de l’hôpital qui assistent aux présentations cliniques connaissent déjà les patients ou ont pu en entendre parler, ils en savent donc déjà quelque chose, ont quelque part « une longueur d’avance » sur les autres, mais aussi ils sont parfois empêtrés par le quotidien, par le fait d’y être dedans et viennent dire qu’en somme, ils n’entendent plus ou toujours la même chose, sont un peu « en  panne », en difficulté, dans l’embarras. Leur demande est souvent de pouvoir entendre autre chose, à la recherche d’une relance et ils disent souvent qu’après l’entretien, il s’est passé autre chose pour eux quant à leur écoute du patient.

Le fait que quelqu’un d’extérieur vienne interroger le patient chez qui il situe un savoir et qu’il découvre pour la première fois, avec un dispositif qui est à la fois dans l’hôpital mais aussi en dehors, cela semble permettre de pouvoir faire un pas de côté.

Le fait qu’il y ait des personnes extérieures mélangées à des personnes travaillant à l’hôpital amène, à mon sens, aussi une ouverture. 

 

Entre préjugés d’emblée et constats :

            Pour ma part, quand je suis arrivée à ces deux présentations cliniques, celle de Saumur et puis après celle de Niort, il y avait pour moi au départ l’appréhension de comment allaient accueillir les soignants des équipes de ces hôpitaux que des personnes de l’extérieur viennent. Je ne trouvais pas cela forcément évident.

Mon autre soucis était aussi de comment les patients interrogés allaient également accepter ou non notre présence. De premier abord, ce dispositif ne tombait pas en tous cas sous le sens et pouvait générer chez moi quelques appréhensions, interrogations, gênes.

Je me disais qu’un patient qui se retrouve avec toutes ces personnes autour de lui ça entraverait peut-être sa parole.

Et puis j’ai découvert que non, même si parfois effectivement ça peut les mettre mal à l’aise, un peu les entraver, mais dans l’ensemble, j’ai plutôt l’impression que ça les porte. Notre présence, qu’il y ait une petite assemblée qui est là silencieuse à les entendre et qui se penche sur ce qui leur arrive, c’est comme si ça donnait de l’importance d’autant plus à ce qu’ils disent et alors, ça les porte.

Quant aux soignants de ces hôpitaux, leur accueil a toujours été plutôt favorable. Et puis vite se dissipe cette impression d’être « chez eux ». Les présentations cliniques créent comme un autre « espace-temps », un lieu un peu à part où alors soignants de l’hôpital et personnes extérieures gravitent dans un lieu à la fois dans et en dehors de l’hôpital. Nous sommes alors chacun et nous nous rencontrons chacun dans un lieu qui est à la frontière de l’extérieur et de l’intérieur et qui nous sort de cette dichotomie, un lieu Autre.

C’est un moment que j’apprécie beaucoup, ce temps un peu de flottement dans cet espace à la frontière et qui semble aussi être apprécié par chacun qui vient y participer. Ça permet une pause. Mes autres collègues avec qui j’allais à ces présentations pouvaient dire cela que ça leur permettait une pause aussi dans leur travail, même si ce travail ne se trouvait pas forcément à l’hôpital. Les soignants de l’hôpital témoignent aussi d’un temps qui leur permet de se poser, et ce qui est apprécié aussi c’est que c’est un temps où est pris le temps de réfléchir ensemble. Où chacun intervient avec ce qui lui vient, sans jugement. Il n’y a pas non plus de décisions thérapeutiques qui soient prises.

Nous pourrions dire qu’il y a bien des effets donc également sur les participants, pas uniquement sur les patients, de ces présentations cliniques. Les interrogations, gênes, qui peuvent être aussi suscitées avec une participation aux leçons cliniques renseignent également sur le fait que nous faisons bien partie du dispositif…ici, point de spectateur ! Je parlais aussi de l’effet que ça peut avoir sur le patient qu’une petite assemblée soit là à se pencher sur ce qu’il dit et lui arrive, sur le fait aussi que l’équipe qui s’en occupe soit présente et entende quelqu’un d’autre et d’extérieur l’interroger…qu’il y ait ainsi une « rencontre ».  

            Au départ, quand j’ai commencé à participer à ces présentations cliniques, j’étais jeune débutante psychologue à peine diplômée. J’y allais alors pour apprendre et j’y vais toujours pour me former, mais j’y allais aussi pour apprendre de comment faisait le psychanalyste pour interroger le patient. Je me rappelle que les autres jeunes collègues qui commençaient avec moi avaient aussi ce souci-là et qu’Alain Harly nous avait bien dit qu’un entretien de présentation clinique est différent d’un entretien au cours d’un suivi par exemple, puisqu’il s’agit d’un seul entretien. Le clinicien intervient alors d’avantage, questionne bien plus le patient. Il ne faut pas confondre présentation clinique et entretien clinique.

Au fur et à mesure du temps, et commençant également à travailler, je me suis peu à peu détachée de cela avec l’expérience que je pouvais en avoir et me forger des entretiens.

Ceci dit, ces présentations cliniques ont eu une influence dans ma pratique naissante. Je m’inspirais un peu de ces entretiens et sans vraiment y faire attention, quand je réalisais des entretiens de pré-admission et pour les entretiens préliminaires. Cependant, ce qui m’a le plus influencé et appris, ça n’est pas l’observation de comment pouvait faire le psychanalyste mais l’enseignement clinique provenant de l’étude faîte ensemble du discours des patients, cela permet un repérage dans sa pratique. Il y une transmission qui s’opère par cette étude-là, car en effet il y a un savoir dans ce qu’ils disent, si nous essayons d’entendre.

 

Encore une fois, dans ces présentations cliniques les choses ne sont pas centrées sur le psychanalyste qui viendrait faire une démonstration d’une théorie, d’un concept, d’un savoir-faire, mais sur ce que vient dire le patient et ce qu’il y a pour lui.  

 

Dispositif et transmission :

Cette participation aux présentations cliniques est ce qui me semble m’avoir appris le plus, si je faisais une petite comparaison avec les groupes de travail par exemple. Il me semble qu’effectivement le dispositif influence pour beaucoup et a des effets aussi sur la transmission. Il n’y a pas un dispositif qui serait mieux que l’autre mais ils ne jouent pas sur les mêmes choses, ne font pas fonctionner les choses de la même manière.

Avec les présentations cliniques, nous partons de la clinique même. Je me suis rendue compte et me suis faite cette réflexion, que j’avais progressivement laissé un peu de côté les groupes de travail et privilégié en suivant les présentations cliniques et ensuite une participation à un cartel.             Avec ces deux derniers dispositifs, j’y ai trouvé une transmission clinique différente. Ils vont reposer l’un et l’autre finalement moins sur quelqu’un qui viendrait amener les choses. Nous y sommes alors engagés peut-être autrement, comptant d’avantage sur chacun qui y participe.

            Travailler à partir d’une transcription de l’entretien et après-coup a pu aussi créer quelques surprises ! Le patient est enregistré pendant l’entretien une fois recueilli son consentement. Là aussi, avant de participer aux présentations cliniques, je pensais que ça allait peut-être gêner les patients d’être enregistré. Finalement, de mémoire, il me semble que personne n’a présenté une difficulté par rapport à cela ou même évoqué cette présence. C’est presque comme si l’enregistreur n’était pas là.

Sûrement que cette présence n’est pas dérangeante car cet enregistrement n’est pas utilisé à n’importe quelle fin et de n’importe quelle manière. Il me semble que là aussi, le fait d’enregistrer ce que dit le patient lui souligne l’importance de son dire, que celui-ci est effectivement pris en compte et pris en compte au mot près, au temps d’arrêt près.

Pour l’auditeur et non pas le spectateur, cette transcription a pu aussi permettre de se rendre compte de ce que nous pouvons ajouter, modifier, de comparer en somme avec ce que nous avions entendu, perçu. C’est souvent très sensible avec les patients psychotiques notamment, de se rendre compte comment nous pouvons compléter des phrases, compléter ce qui serait plutôt des morceaux parfois, imaginairement. C’est ce temps de l’après-coup et ce travail de transcription qui a pu nous révéler cela, chose que nous faisons de manière tout à fait habituelle sans s’en rendre compte. C’est donc souvent avec surprise que nous re-découvrons la présentation clinique une fois transcrite et après-coup. Ces deux temps se renvoient l’un à l’autre.

Cet enregistrement n’est pas là par souci d’une pseudo « objectivité ». Il fait par contre peser les choses du côté du langage, ce par quoi est affecté le sujet humain. La transcription n’est pas plus objective que notre écoute, elle est aussi soumise à des choix de garder ceci ou cela et soumise à une perte.  

 

Conclusion :

Ainsi, pour finir un peu ce témoignage je dirai donc de ces présentations cliniques qu’elles permettent différents effets et que ceux-ci ne concernent pas que les patients.

Ici, il n’y pas de spectateur car les choses sont orientées autrement qu’autour d’une démonstration. Chacun y est engagé et participe au dispositif. Le fait aussi que chacun soit amené à travailler par petit groupe à propos d’un cas rencontré lors de ces présentations, vient peut-être aussi écarter quelque chose d’un voyeurisme. Les participants ne sont pas invités à « venir voir », tout comme il ne s’agit pas de « voir » un patient dans nos pratiques pour qu’il aille mieux.

Ces présentations cliniques viennent créer un autre temps, un lieu « à la frontière », une suspension dans le quotidien. Elles font scansion et permettent souvent une relance pour les équipes, pour le patient.

Elles rencontrent souvent des préjugés et même au sein de ceux qui commencent à y participer. Alors parlons-en. Il s’agit plutôt de nos propres craintes.

Les équipes ont pu déjà faire état de la difficulté à tenir et maintenir ce dispositif dans les hôpitaux, des clivages qu’ils pouvaient rencontrer et peut-être de leur propre désir qui pouvait être mis à l’épreuve. Que ça soit soutenu par un médecin qui engage aussi sa responsabilité semble nécessaire. Les présentations cliniques de Saumur s’étaient interrompues ainsi, plus aucun médecin n’y venait.

 

           

 

 



___________________________________________________

- Auteur : BENJAMIN Emmanuelle
- Titre : "Ici, point de spectateur"
- Date de publication : 26-03-2015
- Publication : Collège de psychiatrie
- Adresse originale (URL) : http://www.collegepsychiatrie.com/index.php?sp=comm&comm_id=162