2 De la psychopathologie structurale des troubles de l'humeur à leur thérapie
Conférence préparatoire donnée à Henri EY dans le cadre du travail clinique des mercredis soirs
De la psychopathologie structurale des troubles de l’humeur à leur thérapie.
C’est , me semble-t-il, tout à fait de circonstances en ce début d’année 2016 où l’on nous annonce la prochaine fermeture de l’Hôpital Henri Ey de commencer cette page d’histoire contemporaine de la psychopathologie des troubles de l’humeur en rappelant le texte que celui-ci a publié en 1938, il y a presque quatre-vingt ans, avec lequel il a commencé à édifier sa conception organo-dynamique des psychoses et en particulier de la psychose maniaco-dépressive. Cet Essai d’application des principes de Jackson à une conception dynamique de la neuropsychiatrie, écrit avec Julien Rouart, qui s’est ensuite consacré à la psychanalyse, a fait l’objet d’une réédition modifiée et complétée par Henri Ey seul en 1976, donc peu après qu’il ait pris sa retraite de l’Hôpital de Bonneval où il a fait toute sa carrière , l’actuel Centre Hospitalier Henri Ey dont je n’est pas encore entendu dire qu’il allait aussi fermer. L’histoire des idées en psychiatrie, en ce temps où les psychiatres avaient des idées, a été marquée par la redécouverte par les praticiens français dans l’entre-deux-guerres des écrits sur la « dissolution des fonctions supérieures » publiés d’une part par le philosophe français Théodule Ribot qui s’est surtout intéressé aux dissolutions de la mémoire et de l’autre par le neurologue britannique Hughlings Jackson qui s’est lui intéressé aux dissolutions de la conscience . Les Selected Writings de celui-ci avaient été publiés en 1932 à Londres par ses élèves et traduits en français peu après. Paradoxalement d’ailleurs le jacksonisme a eu beaucoup plus d’impact sur la psychiatrie française que sur la britannique, paradoxe dont j’ai souvent discuté avec mon ami German Berrios, professeur d’épistémologie psychiatrique à Cambridge. Jackson est surtout connu pour avoir décrit une forme d’épilepsie partielle qui porte son nom -pour un médecin c’est encore plus chic de donner son nom à une maladie qu’à un hôpital- caractérisée par le fait que le malade ne semble pas avoir perdu totalement connaissance comme lors de la crise d’épilepsie généralisée mais vivre une sorte de rêve ou d’expérience , le dreamy state. Je ne vous parlerai pas de la neurophysiologie de l’épilepsie jacksonienne cependant extrêmement intéressante car depuis que la psychiatrie s’est séparée de la neurologie les praticiens hospitaliers en psychiatrie ne doivent plus s’occuper de pareilles choses et que la notion même de « psychose épileptique » a disparu de toutes les classifications modernes des troubles mentaux, alors que c’est une réalité clinique.
Pour Jackson le système nerveux central est organisé tant anatomiquement que physiologiquement en niveaux hiérarchisés, le plus élevé étant le cortex cérébral ou substance grise, chacun d’entre eux contrôlant en l’inhibant la fonction du niveau immédiatement inférieur de sorte que toute atteinte fonctionnelle d’un des niveaux va s’accompagner de signes négatifs par altération ou dissolution de la fonction correspondante à ce niveau et de signes positifs par libération de l’activité du niveau immédiatement inférieur normalement inhibée par celui situé au-dessus. Jackson pense que la fonction qui correspond au niveau supérieur, le cortex, est la conscience, conciousness, car vous savez que les termes en ce domaine ne correspondent pas exactement en français, anglais et allemand comme pour d’ailleurs pour le terme antonyme, l’inconscient et a publié en 1894 un article The factors of insanities dont Ey publie la traduction dans son Essai de 1938.
Ce qui est surprenant est que de nos jours les neurophysiologistes décrivent des circuits neuronaux de la conscience comme Freud en avait décrit pour l’inconscient dans son article sur l’anatomie du cerveau qui n’a pas été repris dans ses œuvres complètes, de sorte que les psychanalystes ignorent ce texte important dont la traduction française est parue dans les Annales médico-psychologiques.
Ey entreprend peu avant la Seconde Guerre Mondiale d’écrire une Histoire naturelle de la folie, tâche interrompue en 1939 bien qu’il parvienne à prendre des notes alors qu’il est mobilisé ou bien lorsqu’ il organise dès 1943 à Bonneval une première journée d’études consacrées aux rapports entre la neurologie et la psychiatrie qui sera suivie, après la guerre, par plusieurs colloques qui auront un grand retentissement. En 1948 Ey publie dans la Bibliothèque Neuropsychiatrique de Langue Française dont le comité de direction comprend parmi les neuropsychiatres français Jacques Lacan, Jean Lhermitte et Eugène Minkowski, et parmi les étrangers francophones Manfred Bleuler, Ludo van Bogaert, H. Flournoy et E. de Greeff , le premier volume de ses Etudes psychiatriques qu’il présente comme des « fragments » de cette histoire naturelle de la folie qu’il n’a pu écrire dans sa totalité ; cette 1ère édition de sera suivie d’un 2ème revue et augmentée en 1952 , donc après la tenue à Paris en 1950 du premier Congrès Mondial de Psychiatrie dont Ey était le secrétaire général, ce qui lui a permis d’y inclure des nouveautés apparues alors. C’est dans la BNPLF qu’ont été publiés les actes du IIIe, La psychogénèse des psychoses et des névroses (1946) et du VIe L’inconscient (1966) colloques de Bonneval.
Le premier volume des Etudes comprend 8 numéros :
· Le n°1 traite de la « folie » et des valeurs humaines.
· Le n°2 du rythme mécano-dynamiste de l’histoire de la médecine.
· Le n°3 de la position de la psychiatrie dans le cadre des sciences médicales et de la notion de « maladie mentale ».
· Le n°5 d’une théorie mécaniciste : La doctrine de G. de Clérambault.
· Le n°6 d’une conception psychogénétiste : Freud et l’école psychanalytique.
· Le n°7 des « Principes d’une conception organo-dynamiste de la psychiatrie » où Ey parle de celle de Jackson mais aussi de celle de Pierre Janet.
· Le n°8 du Rêve « fait primordial » de la psychopathologie, la plus importante non seulement parce qu’elle fait 90 pages, mais aussi parce qu’Ey y traite des rapports entre la « dissolution hypnique » et la « structure de la pensée du rêve », des dissolutions psychopathologiques et enfin de l’Imaginaire.
Je ne vous parlerai pas aujourd’hui, malgré son intérêt, du 2ème volume des Etudes pour, compte tenu du sujet de mon exposé de ce soir, aborder directement le 3ème intitulé Structure des psychoses aigües et déstructuration de la conscience. En effet Ey après avoir proposé de classer ces psychoses en fonction des niveaux de déstructuration de la conscience les étudie dans l’ordre suivant :
· n°21 Manie : analyse clinique et analyse structurale de la crise de manie : structure négative et structure positive. Les manies atypiques
· n°22 Mélancolie avec le « désir et la recherche de la mort », l’analyse structurale et existentielle où il se réfère à Janet, à la psychanalyse de la mélancolie (Freud, Abraham, Mélanie Klein) et s’interroge les formes « atypiques » de mélancolie.
· n°23 « Bouffées délirantes » et psychoses hallucinatoires aigües, étude où Ey ressuscite la notion de « bouffée délirante » de Legrain mais en rapprochant cette entité nosologiques des « expériences délirantes primaires » de Karl Jaspers. On peut remarquer que cette étude est encore plus abondamment illustrée d’observations cliniques personnelles ou tirées de la littérature que les autres ; c’est en effet le schibboleth de la conception structurale des psychoses aigües selon Ey. Quand nous chantions en salle de garde à Sainte-Anne la « Messe du pape Henri » les paroles du répons, chanté sur l’air du Kyrie Eleison, étaient « Henri Ey et Jackson ».
· n°23 « Confusion et délire confuso –oniriques » où il rappelle les travaux classiques comme ceux sur l’amentia de Meynert, maître de Freud, jusqu’à Mayer-Gross ainsi que du syndrome de Korsakoff.
· Et c’est seulement après que, dans le n°24, il aborde enfin « Les psychoses maniaco –dépressives » Notons le pluriel qui marque que pour lui il s’agit d’un groupe de psychoses dont il rappelle l’historique depuis la « folie circulaire » de Falret ou à « double forme » de Baillarger jusqu’à la formulation finale par Kraepelin , dans la 8ème et dernière édition de son Traité où il isole dans son système nosographique la « folie maniaco-dépressive », mélancolie désignant désormais la phase dépressive de cette psychose. Freud restera fidèle à la nosographie de Kraepelin non seulement pour celle-ci mais aussi pour la dementia praecox ainsi que pour la paranoïa comme Lacan le signale dans l’historique de sa thèse de 1931. Ey envisage dans la psychopathologie de ces psychoses maniaco-dépressives la personnalité de l’homme maniaco-dépressif, le sens des crises de manie et de mélancolie, la psychogenèse du « choix » de la crise maniaque ou dépressive et enfin les crises et le sens de l’existence. « La psychose maniaco-dépressive est une affection qui dépend de la « constitution » en conflit avec le « milieu (facteurs endogènes et exogènes), ses crises de manie et de mélancolie sont déterminées tout à la fois et d’un seul coup, par la dissolution de la structure temporelle éthique et par les exigences des conditions existentielles passées présentes. De telle sorte qu’elles sont en même temps l’expression d’une impuissance (aspect négatif) et d’un besoin (aspect positif) … cette « maladie mentale » se saisit de l’homme, mais elle se déroule dans l’existence de cet homme comme les vicissitudes les plus profondes de son histoire » (p.517).
Un 4ème volume des Etudes consacré aux psychoses chroniques est annoncé mais il n’est jamais paru. J’ai avancé l’hypothèse qu’Henri Ey ne l’avait pas publié car il s’était rendu compte que pour celles-ci la psychopathologie structurale montre que la dissolution de la conscience s’accompagne d’une désorganisation de la personnalité et même de la personne au sens philosophique du terme. Il en traite dans les chapitres consacrés aux psychoses hallucinatoires chroniques qu’il s’est réservé d’écrire personnellement pour le Traité de psychiatrie clinique et thérapeutique de l’EMC dont il a dirigé l’édition en 1955. C’est pourquoi j’ai rassemblé ces textes dans le recueil Schizophrénie. Etudes cliniques et psychopathologiques que j’ai fait des œuvres du maître en 1996 pour les Empêcheurs de penser en rond. Aujourd’hui je répéterai seulement que, dans la conception d’organo-dynamiste d’Henri Ey, les psychoses aigües dont les maniaco-dépressives sont radicalement différentes et pas seulement pour une raison de durée dans le temps celles chroniques : la PHC ou paraphrénies, le groupe des schizophrénies et la paranoïa. Ces disquisitions psychopathologiques n’ont d’intérêt qu’en ce qui concerne les conduites thérapeutiques différentes que l’on doit avoir vis-à-vis unes et les autres.
Jean Starobinski a publié une remarquable Histoire du traitement de la mélancolie des origines à 1900,limite qui lui évite d’avoir à parler de la psychanalyse et d’autres méthodes thérapeutiques apparues au XXe siècle mais elle est parue en 1950 dans une collection de Documenta éditée par un laboratoire qui proclamait alors que l’ « imipramine », désigné par son nom commercial , « dissipait la dépression ». Depuis l’introduction en 1941 de l’électrochoc un certain nombre de thérapeutiques dites biologiques avaient déjà proposées pour traiter la mélancolie avant la découverte par le psychiatre suisse phénoménologue Roland Kuhn de l’effet anti- dépresseur de cette molécule. De son côté l’australien John Cade avait découvert en 1952 par sérendipidité l’effet anti-maniaque des sels de lithium et en 1950 les psychiatres militaires du Val-de-Grâce de celui sédatif sur les crises de manie d’une autre molécule, la chlorpromazine ; mais Delay, Deniker et leurs élèves en préconiseront à partir de 1952 surtout l’emploi en cure prolongée dans le traitement des formes hallucinatoires de schizophrénie où elle sera surtout efficace sur les signes dits « positifs »,dénomination qui sera malencontreusement confondue avec celles de Jackson par les auteurs du chapitre Schizophrenia and other Psychotic Disorders du DSM III. Lors du VIe Congrès mondial d’Honolulu en 1977 la commission « Classifications psychiatriques» de l’Association Mondiale demanda aux sociétés nationales qui possédaient une classification de la réviser pour la faire correspondre au chapitre V (F) Troubles mentaux de la Classification internationale des maladies de l’OMS. Elles n’étaient pas très nombreuses et l’on peut citer celles de l’APA, de l’Association soviétique et, pour la France, celle de l’INSERM, publiée en 1968. Nous avions l’espoir un peu utopique en votant cette résolution de faciliter les échanges internationaux alors qu’était dénoncée, à ce même congrès, l’utilisation abusive de la psychiatrie en URSS à des fins de répression politique par l’internement de dissidents dans des hôpitaux psychiatriques spéciaux après des expertises médico-légale qui concluaient qu’ils étaient atteints d’une « schizophrénie torpide »,entité qui n’existait qu’au-delà du rideau de fer. A ce propos je me suis seulement aperçu il y a peu que nombre de ces dissidents étaient ukrainiens. Mais seule l’APA révisa le DSM II pour publier en 1980 le DSM III, rapidement traduit en français, alors que l’INSERM ferma sa section classification pour des raisons que je n’ai toujours pas comprises, car cette question a été abordée en France dès la naissance de la psychiatrie avec l’interrogation par Pinel sur l’existence de diverses « formes d’aliénation mentale » dont la manie et la mélancolie et la publication à Paris des premières classifications internationales des maladies . Seul un groupe de pédopsychiatres continua sous la direction de mon ami le professeur Roger Misès qui dirigeait la Fondation Vallée à Bicêtre et de Nicole Quémada qui était à la tête du bureau OMS à Paris, à publier une Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent avec des révisions périodiques en concordance avec celles de la CIM, entreprise à laquelle ils m’associèrent. La CFTMEA R 2012 en concordance avec la CIM 10 est parue en 2012 peu après la mort de Misès. Le succès de sa présentation à un public de psychiatres francophones d’adultes a incité un certain nombre de praticiens d’obédiences théoriques et de modalités d’exercices variés à rédiger sous ma direction conjointe avec François Kammerer une Classification Française des Troubles Mentaux R-2015 qui doit être présentée et soumise aux critiques lors d’un colloque à Paris le vendredi 29 janvier prochain Soulignons que la France faisant partie de l’ONU dont l’OMS est l’agence pour la Santé est tenue d’utiliser la classification internationale des maladies dans la dernière révision, actuellement la 10ème pour participer aux travaux de cette agence ou une classification nationale en concordance avec l’internationale pour tous les chapitre . La 11ème édition de la CIM est en préparation. Rappelons que dans cette classifications c’est l’ensemble des maladies qui sont classées et que le chapitre V ou F « Troubles mentaux » n’est qu’un des chapitres qui doit être utilisé en liaison avec les autres notamment ceux concernant des facteurs éventuellement pathogènes que ceux-ci soient biologiques, génétiques, environnementaux, sociaux.
La CFTM 1968 distinguait 20 catégories diagnostiques dont la première 01 Psychoses maniaques et dépressives toujours au pluriel est elle-même divisée en 7 sous- catégories :
· 01.1 Psychose maniaque dépressive, accès mélancolique
· 01.2 Psychose maniaque dépressive, forme non classable en .0 ou .1 (Etat mixte, forme circulaire, etc.)
· 01.3 Mélancolie d’involution (Kraepelin en a toujours fait une catégorie à part de cette forme ce qui n’est pas très rassurant pour les seniors comme on dit maintenant)
· 01.4 Psychose dépressive réactionnelle.
· 01.5 Etat d’excitation maniaque réactionnel
· 01.6 Dépression psychotique de type mélancolique non classable en .0, .1, .2 ou .5.
· 01.7 Etat d’excitation psychotique de type maniaque non classable en .1, .2, ou .5.
· 01.9 Etat d’excitation psychotique de type maniaque non classable en .1, .2 ou .5.
Cette classification des psychoses maniaques et dépressives est assez proche de celle proposée par Ey qui ne faisait pas partie de la commission consultative spécialisée présidée par le professeur Théophile Kammerer. Quand je l’ai appris à François Kammerer, mon jeune partenaire dans le groupe pour la CFTM R 2015 il a été enchanté de comprendre enfin pourquoi quand il était enfant son père passait ses soirées à travailler sur des fiches perforées ; bien entendu nous avons-nous fait tout cela à coup d’ordinateur en abandonnant les aiguilles à tricoter.
Mais le DSM III, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, va provoquer un bouleversement de la taxinomie psychiatrique par des nouveautés, les unes terminologiques comme l’abandon des termes traditionnels de « névrose » et de « psychose », même si pour cette dernière catégorie l’adjectif « psychotic » est conservé, les autres conceptuelles. Je ne puis développer aujourd’hui en détail les raisons de ce qui constitue l’abandon de la psychopathologie pas seulement structurale au nom de l’empirisme et du pragmatisme mais il n’est plus possible désormais de parler de psychose maniaco-dépressive et l’on voit apparaitre dans le DSM une section Affective Disorders , Troubles affectifs ou Troubles thymiques, elle-même divisée en trois sous-sections : Troubles affectifs majeurs , Troubles affectifs spécifiques et Troubles affectifs atypiques.
Les Troubles affectifs majeurs sont eux- mêmes subdivisés en Troubles bipolaires (mixte, maniaque et dépressif) et Dépression majeure (épisode isolé et récurrente)
Les « Autres Troubles affectifs spécifiques » sont eux subdivisés en Trouble cyclothymique et Trouble dysthymique (ou névrose dépressive) ; le terme névrose réapparaît ici mais seulement pour qualifier une dysthymie.
Enfin les Troubles affectifs atypiques comprennent le Trouble bipolaire atypique et la dépression atypique.
La conséquence de l’abandon des références psychopathologiques par le DSM III est, sans que cela soit dit explicitement, que l’on va recourir pour l’ensemble des Troubles thymiques majeurs ou non aux mêmes traitements que ce soit au moyen des molécules antidépressives ou par d’autres méthodes, notamment les TCC. L’industrie pharmaceutique internationale va de son côté se livrer à une surenchère pour montrer que la molécule miracle que met sur le marché chaque laboratoire est supérieure à celles des concurrents ; si elle est prescrite à travers le monde à tous les malades qui souffrent d’un trouble thymique même mineur, dysthymie ou cyclothymie le marché est considérable. Il est en tous cas beaucoup plus rémunérateur que celui des sels de lithium qui sont pourtant de meilleurs thymo - régulateurs en cas de psychose maniaco-dépressive.
L’historique du concept de « Trouble bipolaire de l’humeur » est complexe. Introduit en Allemagne par Karl Leonhard à propos des « psychoses cycloïdes » il est repris par Angst et Perris qui en précisent la clinique en Europe par l’étude d’un grand nombre de cas, passe aux Etats-Unis d’où il revient à travers le DSM. Ces auteurs établissent que si dans la majorité des cas la première crise de manie se produit après un épisode dépressif plus ou moins marqué, chez d’autres sujets ce premier épisode que nous pouvons qualifier de mélancolique n’est jamais suivi d’un virage maniaque de la thymie mais qu’il peut néanmoins se répéter après un intervalle de stabilisation de l’humeur plus ou moins long avec toujours un risque important de suicide d’où sa désignation comme « Trouble dépressif unipolaire ou majeur ». N’oublions pas que d’autres patients souffrent aussi de manière périodique d’épisodes dépressifs qui n’ont ni cette teinte mélancolique, ni cette intensité de désir de mort.
L’abandon du terme « psychose » tenu pour stigmatisant au profit de celui plus neutre de Troubles bipolaires fut favorablement accueilli par les malades ou les usagers qui l’utilisent souvent au singulier « je suis un bipolaire » et des associations de bipolaires ont été créés. Cette terminologie nouvelle a aussi été reprise par des associations comme par exemple l’œuvre Falret fondée par cet aliéniste pour assister les malades sortantes de son service de la Salpêtrière. Des médecins pensent aussi que « Trouble bipolaire » est moins stigmatisant que psychose maniaco-dépressive depuis que ce terme est utilisé comme équivalent de folie surtout quand on parle de schizophrénie. Mais cet usage eut aussi pour conséquence que l’on a vu fleurir sur internet des sites d’information avec des interrogatoires permettant l’auto –diagnostic de Trouble bipolaire, des « statistiques » affirmant que 5% de la population française souffrait en était atteinte et indiquant même les traitements à suivre et à en demander la prescription, etc. Enfin la Haute Autorité de Santé utilise aussi celle terminologie en particulier dans ses Recommandations aux médecins.
Les responsables d’institutions sanitaires en particulier celles de santé mentale sont actuellement confrontés à la difficulté de savoir combien exactement de malades atteints des différents types de Troubles tant bipolaires que monopolaire de différents types définis selon la CIM 10 sont suivi et traités dans les services hospitaliers temps plein, en hospitalisation partielle, en consultation, etc. et de quelle thérapie ils bénéficient. Il en de même pour ceux suivis en ville. En même temps il est dit que la France est à la fois le pays le plus consommateur d’antidépresseurs ou d’anxiolytiques et celui où les malades souffrant de psychose maniaco-dépressive sont le plus mal traité.
Le DSM 5 me paraît avoir encore compliqué davantage les choses car -les Bipolar and Related Disorders comprennent :
· - le Trouble Bipolaire de type I en distinguant des épisodes maniaques, hypomaniaque ou dépressif en cours ou récents,
· Le Trouble bipolaire de type II.
· Le Trouble cyclothymique
· Et enfin les Troubles bipolaires dus à une autre affection médicale.
II.- Les Depressive Disorders comprennent eux :
· Disruptive Mood Dysregulation Disorder qui inclut le Major Depressive Disorder.
· Le Persitant Depressive Disorder ou Dysthymie
· Le Premenstrual Dysphoric Disorder
Et enfin le Depressive Disorder due to Another Medical Condition.
Sont ainsi regroupés le Trouble unipolaire que je qualifierai de mélancolique et des troubles dépressifs qui sont à la limite de la pathologie ou en tous cas ne justifie pas un traitement antidépresseur chimique. Je crains que le recueil de données statistiques épidémiologiques qui est, ne l’oublions pas , l’objectif des révisions du DSM et de la CIM , dont la 11ème est en préparation, ne soit encore plus compliquée.
La question des classifications des maladies continue à faire l’objet de controverses parfois violentes mais il faut souligner, ce qui est souvent oublié, qu’une classification quelque elle soit ne peut servir qu’à ce pourquoi elle a été conçue et que c’est une erreur que d’en utiliser une faite pour recueillir des données statistiques, recueil à des fins pédagogiques pour apprendre la psychiatrie comme on dit ou bien pour « faire de la psychopathologie ». Il faut au contraire bien connaître préalablement la psychopathologie pour utiliser correctement une classification statistique des Troubles mentaux. Nous continuerons à en débattre lors des journées du Collège de psychiatrie les 6 et 7 février 2016 à Saint-Antoine.
Jean Garrabé
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- Auteur : Jean GARRABE
- Titre : 2 De la psychopathologie structurale des troubles de l'humeur à leur thérapie
- Date de publication : 15-02-2016
- Publication : Collège de psychiatrie
- Adresse originale (URL) : http://www.collegepsychiatrie.com/index.php?sp=comm&comm_id=167