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COMMENT ABORDER, AUJOURD'HUI, MELANCOLIE ET DEPRESSION ? FEVRIER 2016


1 Quelques remarques pour introduire nos travaux





 Quelques remarques pour introduire nos travaux                                                                                           

                                                                                         

 

 

    Le titre donné aux travaux de ces journées nationales du Collège de Psychiatrie « Comment aborder, aujourd’hui, dépression et mélancolie ? » oppose dépression et mélancolie et vient interroger ce qui spécifierait la « mélancolie » ou la position mélancolique dans son opposition à la dépression ou aux dépressions.

    Par ailleurs cette question porte sur l’actualité de cette question pour nous aujourd’hui. En effet comment nous en débrouillons-nous aujourd’hui, et sur quelle clinique nous appuyons nous pour y prendre nos repères ? Ou, plus précisément, avec quels repères construisons-nous cette clinique ?

    Et dans ce travail il y va à chaque fois de notre responsabilité, non pas seulement de notre responsabilité de médecin ou de soignant, mais de notre responsabilité de sujet devant son acte.

    Cette question est abordée aujourd’hui dans le cadre du Collège de Psychiatrie. Et comme vous le savez le Collège s’est donné depuis plusieurs années comme projet non pas seulement de réhabiliter la clinique mais d’interroger la construction même de cette clinique dans son actualité. Par exemple dans ces lieux que le Collège essaye de développer et que sont les lieux de  « présentation clinique ».

    Cette clinique n’est pas quelconque. En effet celle-ci se trouve spécifiée de ce qu’elle est conçue comme une lecture, comme une construction, fruit d’une rencontre entre un soignant et son patient, tous deux êtres parlants. Si le soignant ne s’y trouve pas simplement comme observateur mais comme sujet pleinement engagé dans ce travail de lecture et de construction il appartient lui-même au tableau clinique et il a à se compter dans le résultat. Il est essentiel de pouvoir repérer cette spécification. Et il me semble que là se trouve le minimum requis pour aborder les questions qui nous occupent aujourd’hui.

    Et si nous abordons dans le cadre du Collège de Psychiatrie cette question c’est dans le champ d’une psychiatrie qui prend au sérieux, au sens fort du terme, c’est-à-dire au sens de la série, qui prend au sérieux le fait que le patient, comme son soignant, sont tous deux des êtres parlants. Il s’agit alors d’une psychiatrie qui compte avec les effets de transfert et les effets du sujet parlant.   

   Ceci a toute son importance car il apparaît que l’abord de cette question que nous nous sommes donnée aujourd’hui n’est possible qu’à partir du moment où le sujet assume son engagement dans sa clinique. Sans cet engagement prendre ces points de repères n’est pas possible et place le soignant dans une situation très délicate quant à l’assomption de son acte.

   C’est à cette condition, et à ce prix, me semble-t-il, que peut se dégager les prémices d’un acte, ou plus simplement, d’une conduite à tenir pour faire la juste part entre dépression et mélancolie. Avec  ces repères le médecin pourra s’orienter et trouver, si nécessaire,  un éclairage pour définir le contenu d’une ordonnance, une manière de guider la cure ou le travail en cours, ou encore soutenir, avec son maniement même, une injonction.

 

   Cette première remarque que je vous propose est essentielle. En effet l’embarras qui porte sur cette question reste majeur aujourd’hui dans notre monde et devient une question de santé publique. L’actualité des médias nous apporte, avec son flux régulier, les conséquences dramatiques de ce qu’il faut bien appeler une incurie diagnostique. Ne pas pouvoir faire la différence entre simple dépression et mélancolie n’est pas sans effets. C’est ce qui fait d’ailleurs, qu’entre nous, et à l’occasion de cet événement aérien tragique de l’année dernière, ces questions sont venues; ou revenues plutôt. Il apparaissait une nouvelle fois, à cette occasion, que la mélancolie était tout simplement méconnue, voire ignorée, non pas seulement de la part des médias- et pourquoi pas, ce ne sont que des « médias »- mais de la part des médecins eux-mêmes qui ont pourtant, sur ce point, le devoir d’être éclairés.

   A l’occasion de ces journées nous entendrons un certain nombre de collègues qui vont nous présenter leur clinique, donc le fruit de leur engagement dans un travail d’écoute et de lecture. Ce travail est à chaque fois singulier, et là réside son intérêt. Dans les difficultés qu’il pose et  dans les questions qu’il ouvre En effet se trouve interrogé à chaque fois par ce biais du particulier la dimension de l’universel.

   Mais, dans ces journées, nous n’entendrons pas seulement l’actualité d’une clinique, nous entendrons Jean GARRABE évoquer l’actualité d’une histoire. En effet qu’est ce que l’histoire de la clinique et de la psychopathologie, s’il y en a une, sinon l’histoire des dépôts des savoirs constitués tout au long des années par les uns et les autres. Dépôts construits logiquement puisque chaque travail se fait en prenant en compte le précédent. Nous avons donc à faire à ce qui se présente comme un corps clinique, un corps vivant puisque celui-ci ne cesse de se développer; un corps troué pourrait-on dire puisque les savoirs qui le constituent se constituent au lieu vide d’une vérité toujours mi-dite. Trou qui fonde une discipline. Dans l’engagement de chacun dans sa lecture clinique se vérifie à chaque  fois cette disjonction entre savoir et vérité. D’où ce fait qu’un savoir est toujours signé, signé de celui qui s’en autorise.

  

   Je voulais faire une deuxième remarque pour introduire ces journées sur dépression et mélancolie. En fait un peu plus qu’une remarque, puisque je voulais dire quelques mots de cet article toujours aussi époustouflant de S. FREUD. Comment en effet ne pas parler dans ces journées «  De deuil et mélancolie » et vous donner à entendre ce qui en fait toujours pour moi l’actualité même si celui-ci date de 1915. Un siècle ! Et je voulais en  déplier  quelques aspects qui en font toujours, jusqu’à aujourd’hui, un travail absolument incontournable ; et vous présenter très brièvement en quoi son actualité s’en trouve aujourd’hui renouvelée après les derniers travaux de LACAN sur la topologie borroméenne.

    En effet ce texte est un texte de topologie, d’une première topologie. Un exercice clinique de topologie.

   Que nous dit FREUD? Il a cette intuition géniale que la mélancolie va pouvoir s’éclairer à partir du mécanisme du deuil, dans une opposition au mécanisme du deuil. C’est le titre même de cet article. Alors qu’est-ce qui spécifie le deuil ? Un sujet entre en deuil à partir du moment où l’objet de son désir, et ce qui venait le représenter lui fait défaut et s’absente du champ de sa réalité. Le voici donc confronté à une opération singulière qui va nécessiter un temps, et qui consiste à pacifier cette perte en se donnant un nouvel objet d’investissement. De cette opération, qui est proprement le temps du deuil, il sortira différent. Tout se passe comme s’il y avait là la mise au travail d’une fonction, d’une fonction qui caractérise le moi et sa fonctionnalité. FREUD nous apprendra par la suite comment cette opération du deuil débouche, par l’incorporation d’un trait, l’einziger Zug, sur un nouveau sujet, « eine neue Subjekt » comme il l’écrit. C’est la réalisation d’une telle opération, une identification, qui vient témoigner de la présence vive d’une telle fonction. Il y a donc du deuil par la mise au travail contraint d’une telle fonction. Et FREUD s’autorise de ce constat qui reste toujours le nôtre jusqu’à aujourd’hui : il y a des situations cliniques où cette opération de renaissance qu’est le deuil ne se fait pas, où celui-ci n’est pas possible. Pas de mise en fonction possible. Et s’ouvre alors un destin bien différent de celui ouvert par un travail de deuil que l’on peut qualifier de plus ordinaire. Aujourd’hui, avec les propos d’un patient  dans l’oreille, cette question est toujours la notre : est-il en mesure ou pas de rebondir, est-il en mesure de faire cette traversée, est-il en mesure de trouver les appuis suffisants pour la traversée de ce Léthé? Ou va-t-il s’effondrer et tomber dans ce trou ouvert par la sollicitation réelle de cette perte ?

   Comment FREUD caractérise t-il la mélancolie qu’il fait équivaloir à cette impossibilité d’un deuil ? Dans un premier abord trompeur elle peut évoquer l’engagement d’un processus de deuil. Mais à l’examen nous y trouvons tout autre chose. A la présence d’une humeur dépressive commune au deuil vient s’ajouter progressivement des idées de déchéance, de culpabilité, de ruine, de fin du monde,… Idées dont la prégnance finit par leur donner un caractère délirant. Et s’installe un jugement singulier que le mélancolique porte sur lui-même. Comme une plainte au sens juridique, ajoute FREUD : tu es nul, tu es coupable, tu dois disparaitre, tu es la cause de tous les malheurs du monde… Ici, en se présentant ainsi comme la cause d’un monde en voie d’effondrement, FREUD s’étonne de l’immodestie du mélancolique. Le moi du mélancolique apparaît alors comme clivé. Cette remarque freudienne a son importance parce qu’elle vient nous montrer comment le moi est composé de certaines instances qui, en l’absence de cette fonction qui pourrait rendre un moi vivant, viennent ici comme se réfracter et en donner l’ultime architecture. C’est-à-dire qu’en lieu et place de la mise au travail d’une division qui spécifie un sujet parlant dans son travail de deuil, nous rencontrons ici un moi clivé. Si nous pouvons rendre compte de la position mélancolique par le défaut d’une fonction qui, en découpant un nouvel objet,  mettrait au travail la division du sujet, nous sommes bien obligés d’en tirer la conséquence- mais cette lecture est plus personnelle- que la mélancolie appartient à un champ clinique précis et spécifique que nous pouvons définir comme le champ ouvert par le défaut de cette fonction.

     Ici il nous faut assumer un effort de logique et tirer quelques conséquences. Comment appeler ce champ sinon le champ des psychoses. Il nous faut bien nommer là cette spécificité où le défaut de cette fonction livre « le sujet » à la xénopathie. Exactement comme FREUD avait pu le faire dans ses commentaires sur SCHREBER ou dans « l’homme aux loups ».  Certes les tableaux cliniques des psychoses peuvent-être très variables et la xénopathie prendre des formes très variées aussi bien dans sa présentation que dans son intensité. A partir de l’hypothèse de ce défaut de fonction c’est la multiplicité des destins et la diversité des tableaux cliniques qu’il nous faudrait interroger.

      Et nous avons une voie à explorer avec les dernières avancées de LACAN. Si nous identifions cette fonction susceptible de faire défaut à la « fonction nœud », celle qui noue les trois registres R,S, et I et qui, de leur opposition vient faire nœud, comme veut bien nous le suggérer LACAN,  la voie de la suppléance se propose comme une piste intéressante. La suppléance au défaut de la « fonction nœud » rend possible la mise en place d’appuis toujours contingents et d’une grande fragilité devant les sollicitations d’un réel qui viendra lui rappeler qu’il y a du trou. Mais nous sommes là dans des questions qui débordent nos journées.

     Pour conclure, si nous suivons FREUD dans sa logique et dans ses réflexions, ceci nous met en situation de pouvoir nous orienter, même si cela reste à chaque fois très difficile. Nous orienter dans notre travail c’est assumer notre responsabilité et poser des choix : cela va du contenu d’une ordonnance,  l’éventuel maniement d’une injonction qui peut s’avérer nécessaire, jusqu’au maniement du transfert dans un travail de long terme. Nous savons comment le transfert dans la névrose et le transfert dans la psychose ne sont pas les mêmes et ne relèvent pas d’un même maniement. Leur dynamique reste très différente. D’où l’importance de la prise de ces repères. 

     Voilà pour ces quelques remarques introductives à nos travaux.  

 

    Question inaudible de la salle :

    Réponse : Dans ces premiers repérages simples que je vous ai présentés il y a peut-être un point sur lequel je n’ai pas assez insisté, c’est celui sur le clivage du moi du mélancolique et son devenir. Il y a cette très belle formule de FREUD, à savoir que ce destin singulier serait à comprendre par le fait que « l’ombre de l’objet » tombe sur le moi. Ce réinvestissement libidinal ne concerne pas la découpe d’un nouvel objet de désir mais concerne directement le moi, mais dès lors un moi clivé en ses deux parties opposées. L’une identifiée à cet objet de déchet qui ne peut que choir, et l’autre, en opposition, portant jugement sur cette dernière et ouvrant la porte d’un toujours possible passage à l’acte. D’où la question des suicides altruistes. Et je suis prêt à soutenir que le suicide chez le mélancolique est toujours de cette nature et le spécifie. Dans le même temps, dans ce suicide altruiste, il y a la conjonction de cette position héroïque de celui à qui s’impose la déchéance qu’il fait sienne et qui fait le choix de disparaître. Disparaître pour sauver la communauté dont il serait devenu la cause du malheur en même temps que son sauveur. La communauté Une enfin réconciliée avec elle-même dans ce passage à l’acte. Il y a là une logique qui fait trait et qui spécifierait le suicide altruiste et la position mélancolique. Conséquence du destin ouvert par le défaut de cette « fonction nœud ». 

             

   

  

 

                                                                                         

 

 

 



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- Auteur : Michel JEANVOINE
- Titre : 1 Quelques remarques pour introduire nos travaux
- Date de publication : 18-02-2016
- Publication : Collège de psychiatrie
- Adresse originale (URL) : http://www.collegepsychiatrie.com/index.php?sp=comm&comm_id=170