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FIGURES DE LA MÉLANCOLIE - JANVIER 2017


Les voix, voies de la mélancoie




                                Les voix, voies de la mélancolie

                                                                                ANQUETIL Nicole

 

Il m’est apparu comme absolument nécessaire de me référer une fois encore à Aimée F. en ce qui concerne le phénomène des voix dont elle nous a fourni une si riche clinique.

En effet si le personnage Aimée F. est passée par des moments de tristesse et de dépression durant les trois ans qu’ont duré nos rencontres, elle n’a jamais tenu de propos mélancoliques, des propos dépressifs, certes, car le harcèlement de cette partie d’elle-même, appelé « les voix » était difficilement supportable malgré tous les moyens de défense qu’elle s’est efforcée de mettre en place pour les contrecarrer ces « voix ».

Par contre dans sa façon d’être psychotique où la propension à la mélancolie se décèle comme dans toute psychose, on ne peut que constater que dans le clivage qui s’est opéré dans son psychisme très bien repérable dans le « document » qu’elle a élaboré au fil des séances durant ces trois années, ce sont les voix qui se sont emparé de tout son corps et des objets qu’elle dit être personnifiés qui tiennent des propos indiscutablement mélancoliques.

Aimée F. souffre d’une PHC à sa façon, dans ce que j’ai ce que j’ai pu identifier comme étant une psychose de fait, psychose liée à sa propre histoire, telle que Lacan l’avait discernée à propos de Joyce. Dans une psychose disons classique depuis Freud et Lacan, forclusion à la clef, les propos des voix semblent surgir de nulle part ou de l’immédiateté environnementale où les mots liés à cet environnement s’imposent dans une logique signifiante de contiguïté sans que le moindre sujet soit concerné même si tout à coup tout ce qui se passe semble concerner un sujet indépendamment de tout recul ou de toute réflexion. Il s’agit tout aussi bien d’injonctions xénopathiques où la personne déchue de sa subjectivité est traitée comme un mauvais objet à éliminer ou devant éliminer un autre réduit à l’état d’objet dans la logique spéculaire du lui ou moi. Nous reconnaissons là la dialectique paranoïaque passage obligée de notre construction commune de sujet parlant. Nos patients médicaux légaux savent très bien nous décrire des voix leur ayant enjoint de pousser quelqu’un sous le métro, ou de l’agresser, de le tuer, de mettre le feu, de se dénuder etc… dans la déliquescence de ce que nous appelons le grand Autre, soit la dialectique pacificatrice de la parole signifiante.

Nous connaissons bien en clinique ces différents passages à l’acte dans l’adhésion immédiate aux injonctions hallucinatoires où le sujet, le sujet qui parle est aboli.

Nous ne retrouvons rien de tel chez Aimée F.. Bien au contraire elle s’insurge, elle lutte contre cette menace de désubjectivisation qui la guette. Contre cette menace de devenir un objet, une marionnette des voix qui la harcèlent dont elle perçoit le côté mortifère en s’affirmant comme faisant partie du monde des vivants. Pour elle ses hallucinations verbales font partie d’un processus diabolique de destruction et sa foi va la conduire à leur opposer des écrits des évangiles qui s’oppose à l’être maléfique de Satan sans le moindre mysticisme ni religieux ni pathologique. Elle se maintient dans un statut de sujet dans son opposition même. Il y a du sujet quand il y a la possibilité de s’opposer, de dire « non , ce n’est pas cela ». C’est une des prérogatives du système signifiant que de faire jouer des couples oppositionnels et de les argumenter.

Que nous a démontré Aimée F. ? D’une part que l’on peut avoir un système délirant sous- jacent à la personnalité et mener une vie sociale, familiale et professionnelle de façon tout à fait adaptée. Elle nous démontre aussi que cet équilibre est fragile. Peuvent cohabiter une bejahung à notre environnement humain fait de langue et de langage et un déni des éléments signifiants constitutifs à cette adhésion qui de ce fait  se trouvent être prêts à exploser quand des éléments structuraux viennent à faire défaut.

Brièvement je rappelle que dans sa petite enfance Aimée F. a été tripotée et violée par son père et que tous les services sociaux et les institutions ont œuvré à la sortir du bourbier familial. Un jugement a été prononcé et le père a été emprisonné , l’enfant a été confiée à des institutions scolaires loin de sa famille, le père ayant juré de la tuer.

Tous ces évènements sont survenus dans son jeune âge avant toute possibilité d’une maitrise conceptuelle . A-t-elle été dans une forclusion, un déni , un refoulement ? En tout cas elle n’a pas adopté un repli victimaire dans une quelconque revendication hystérique. En cela les institutions sociales l’ont aidée en prenant à leur compte la faute du père en mettant en place une réparation dans le socius.

Ce qu’il s’est passé, « ça ne se fait pas » aurait  dit Charles Melman  aux  proposition  de lois contre l’inceste, les lois du signifiant y suffiraient. On ne peut décliner les lois de la parenté en étant à la fois père et mari d’une même personne. Cependant tout délit constitué mérite une sanction, la jeune Aimée F. a assisté au jugement du père et à sa condamnation à l’emprisonnement. Mais n’oublions pas qu’il s’agit du père, cela n’est pas sans conséquence lorsque celui censé représenter la fonction paternelle est déchu de cette fonction par d’autres  institutions censées également de respecter cette fonction organisant les rapports entre les lois et ceux qui y sont soumis.

En tout cas Aimée F. n’a rien oublié, en décidant de passer outre pour avancer dans la vie elle n’a certes pas été dans la forclusion. A-t-elle été dans le déni ? Pas vraiment ; elle a décidé de n’en plus rien savoir. Elle a accepté un replâtrage de la fonction paternelle lui permettant un comportement de névrosée ordinaire avec en suspens pourrait -on dire une « psychose en réserve ». Y a-t-il eu subjectivation de son être dans son adhésion à toutes les organisations sociales de la vie publique ?  Ce que l’on a pu constater est qu’au moment de la rupture de ce qui la soutenait en tant se fissure des hallucinations verbales s’imposent à son grand dam.

Ce qui l’a protégée dans son extime, ne l’a pas préservée dans son intime.

A partir de là j’avance cette hypothèse : Est-ce que le dispositif qui la soutenait et qui contenait en lui-même sa propre fin l’a - il en quelque sorte protégée de la dépression et de la mélancolie, sous un mode névrotique ou psychotique ?

Il semblerait que oui. Mais la clinique réserve toujours quelques surprises.

C’est une vieille petite fille dit le merle. Elle a vieilli telle qu’elle était petite fille, une toute jeune fille version David Hamilton. Les « voix », bien sûr xénopathiques n’en font pas moins intégralement partie d’elle-même, lui parlent de tout ce qui a concerné ses avatars et ses questions. Et les « voix » vont tenir les propos dépressifs et mélancoliques, Aimé F. parlée par ses voix devient l’objet parlé par elle, un objet qui parle mis en équivalence avec son corps objet qui fait corps avec tous les objets qui l’entourent.

Elle écrit « Les voix faisaient parler les objets chaque fois que je les touchais ». De façon plus concise, plus loin dans le texte : « Les voix personnifiaient les objets jouant à les faire parler ». Les voix parlent d’elle comme d’un objet rebutant à éliminer : « suicide-toi ». Elles la traitent comme un objet de scandale et de répulsion devenue ainsi par l’acte du père et de ce fait même devant s’éliminer par elle- même.  Serait-ce là la manifestation d’un désir de meurtre du père se retournant contre elle-même de façon hallucinatoire ? N’a-t- elle pas provoqué la mort civile du père par son emprisonnement ? Dans ses propos ordinaire Aimée F. affirme n’avoir conservé ni aigreur ni rancœur. Tout le côté punitif de l’affaire de ses viols vient somme toute de l’Autre, de l’entourage, de la pénalisation des faits.

On ne peut supputer quoique ce soit sur  cette pénalisation, crime il y a eu.

Aimait-elle son père ? On ne peut récuser cet amour banal et universel venant d’un enfant et surtout d’une fille. Peut-on alors repérer dans les propos mélancoliques des voix la dialectique du moi -objet terrassé par lui-même selon Freud, dans son identification avec son père ? L’ombre du moi tombe sur l’objet, écrit Freud dans Deuil et mélancolie. L’indigne dans cette affaire c’est le père ce n’est pas elle.

Aimée F. lutte de toutes ses forces contre ses voix qui la mettent dans ce danger mortel de devenir totalement objet en la destituant de sa propre parole : « tout ce que tu toucheras se mettras à parler… bientôt il n’y aura plus de différence entre toi et les voix qui parlent en toi ».

Ces « voix » la mettent en position de devenir elle -même un pur objet « voix ».Pur objet voix que personne n’entend, comme elle le remarque très bien et qui se balade tout aussi bien dans toutes les parties de son corps sans la moindre césure d’avec ce qui différencierait son corps de tout autre objet qui l’entoure.

Elle lutte de toute sa lucidité pour éviter sa destruction dans cette mortelle randonnée vers le suicide. Ses « voix » ne sont -elles pas alors la manifestation de sa culpabilité totalement inconsciente ? Culpabilité qui enveloppe son univers, qui la désigne comme étant une meurtrière. « Les voix accusent, culpabilisent, veulent désespérer, pousser au suicide ou à la folie , veulent couper de Dieu ».

Donc pour nous résumer sur l’histoire d’Aimée F. qui échappe à la mélancolie en luttant contre les propos dévalorisants des « voix » qui la poussent au suicide qui l’acculent à être cet objet repoussant tel que se voit le mélancolique ne peut y échapper qu’en appelant à l’aide ce grand Autre qu’est Dieu, cet Autre du langage qu’est notre environnement humain. Ne sommes- nous donc pas de ce fait devant une forme clinique de mélancolie tout à fait particulière où elle se manifeste dans un clivage inédit entre un comportement « normal » et une activité hallucinatoire massive ?

C’est à partir de tous les tourments d’Aimée F. dus à ce qui la poussent vers un univers d’objets mortifères dans le collapse qui la guette avec son environnement où l’Autre du langage risque de disparaître, que le tableau phénomène d’Edward Munch intitulé Le cri m’a poussée vers cet étrange personnage qu’est ce peintre et cet écrit qu’est à proprement parlé ce tableau dont il a donné plusieurs variations et plusieurs commentaires dans les années 1888 et 1893.

D’emblée je dirai que si Aimée F. s’est résolument tournée vers la vie et le grand Aure comme en témoigne son document, Il en a été l’inverse pour Edward Munch. La mort lui est tombé dessus comme une chape de plomb dès son plus jeune âge. Sa mère meurt de la tuberculose alors qu’il n’avait que 5 ans. Son père fou de douleur à la suite de la perte de sa femme va imposer une éducation aussi folle que perverse à sa progéniture.

Si le père du Président Schreber a conçu en tant que médecin son absurdité éducative avec sa gymnastique pédagogique, le père du jeune Edward imposait une gymnastique mentale dans le but de prévenir de l’enfer et des supplices des damnés à ses jeunes enfants au décours de ses propres crises d’anxiétés religieuses en se référant à des passages terrifiants de la Bible. Les pauvres enfants et surtout les ainés s’endormaient pétris de peurs et d’angoisses. Le comportement du père était toutefois tempéré par la douce jeune sœur de la défunte qui a pris sous son aile les orphelins.

J’ai tiré un certain nombre de renseignements à partir du livre de Dominique Dussidour consacré à Edward Munch intitulé Si c’est l’enfer qu’il voit…

A la page 26 de l’ouvrage, ce titre se compète de cette phrase : « Si c’est l’enfer qu’il voit, c’est l’enfer qu’il peint. » J’ai cherché assez vainement des livres en français concernant le peintre mais il n’en n’existe pas, par contre il en n’existe pas mal en langue allemande. De même il n’y a aucune traduction française du fameux journal d’Edward Munch. Je me suis rabattue sur Wikipedia qui fournit un certain nombre de renseignements ainsi que des fragments du journal et des commentaires du peintre sur ses propres tableaux.

Sans doute dans les expositions il y a des ouvrages à tirage limité comprenant la reproduction d’un certain nombre des œuvres exposées ainsi qu’un certain nombre de commentaires y afférents, pour ma part je ne dispose en fait que de quelques ouvrages d’art qui disent à peu près la même chose. Je me suis centrée sur celui d’Ulrich Bischoff de chez Taschen, où j’ai pu voir que la peinture de Munch a été très variée, pleine de couleurs, même si de larges plages sombres et voilées les traversent le plus souvent.

J’ai pu voir que certains tableaux sont dans la droite ligne du  Cri . Avant d’en dire un peu plus il me faut vous rappeler qu’Edward Munch a mené une vie assez fracassée par un alcoolisme récurrent ; selon Dominique Dussidour il a souffert d’hallucinations importantes au décours de beuveries. Signalons aussi que la sœur cadette Laura a été très tôt étiquetée en tant que schizophrène à fortes tendances mélancoliques. Elle a été internée à l’âge de 20 ans pour ne plus jamais reparaître à la vie civile.

Le caractère morbide de beaucoup des toiles de Munch est patent, il se montre hanté par la mort, la maladie, le désespoir et le caractère énigmatique de la sexualité. Comme pas mal de ses tableaux celui intitulé « L’enfant malade » de 1885/1886 a donné lieu à plusieurs versions et remaniements jusqu’en 1907 ; il est impossible de ne pas y voir la référence à la maladie et à la mort de sa sœur Sylvie survenue alors qu’elle n’avait que 16 ans.

Dans la suite de ses deuils successifs, dont celui du père mort en 1890, attachons nous à ce qui semble y être directement en prise dans le fameux Cri aux couleurs sombres et tourmentées dont la première version est celle de 1993. Couleurs et lignes flamboient et tourbillonnent sur un fond sombre avec en premier plan ce visage dévasté, véritable tête de mort rappelant la momie du Pérou que l’on peut voir au musée de l’homme, comme cela est souligné dans les livres d’art.

Ce qui est étonnant est qu’un tableau peint quelques mois avant le Cri, en 1993, s’intitule La Voix. Il s’agit d’un tableau assez sombre avec une jeune femme au premier plan dont le visage est flouté surtout au niveau de la bouche et dont les mains se cachent derrière le dos. Pourquoi a-t-il été intitulé ainsi ?

Cela a laissé assez perplexe certains critiques d’art : allégorie de la voix ? Il est possible que la jeune femme parle, mais des paroles sortent-t-elles de cette bouche ? D’autres soutiennent que cette femme est un leurre, «  c’est au décor qu’il faut s’attacher. Si la voix est représentée dans le tableau, c’est plutôt par le décor que par la personne : succession de traits et de fréquences… la voix est une ambiance, un enveloppement, une résonnance, nous y habitons ». J’ai recueilli ce commentaire sur internet en cliquant sur « Edward Munch, La Voix ». La perplexité reste entière. Néanmoins, pour ma part cela entre en résonnance avec ce que décrit Aimée F. quand elle parle de présences qui deviennent palpables avant de parler de présence-voix puis de ne plus parler que de voix .

Ce tableau illustre-t-il cet impalpable de la voix, de cet objet a qui choit de toute émission de paroles d’un autre ou de soi-même mais qui tient une place essentielle à l’environnement humain ?

Le commentaire cité se poursuit de cette réflexion : « Il y a des choses qu’on ne peut voir sur une reproduction. La ligne rouge de la plage représente la censure. La fille ne peut rien dire. Sa voix reste derrière, dans la partie lumineuse où se trouve le soleil qui se reflète dans la mer. Effet d’écho, de résonnance, mais inaudible.  Le bateau blanc est une figure visible, alors que la voix est invisible. » Si ce commentaire ne résout rien il pose l’énigme de cette voix dans un décor plutôt agréable. S’agirait-il d’une hallucination avec le côté gentil et énigmatique d’une voix palpable dans son caractère persécutoire et mortifère ?

Le contraste est assez frappant avec Le cri où le côté mortifère est violemment présentQuelques mois séparent ces deux tableaux qui seront remaniés à plusieurs reprises. S’agit-t-il dans ce tableau Les voix d’un phénomène analogue au Démon de Socrate où Francisque Lélut voyait déjà un phénomène hallucinatoire ?  Dans le Criton de Platon, écrit Lélut, « chez Socrate la pensée, quand surtout elle avait trait aux sentiments et aux principes de la justice prenait un tel caractère de vivacité et de détermination qu’elle se confondait pour ainsi dire avec la parole et qu’il ne l’en distinguait presque pas. Le fait, je prie qu’on le remarque, est déjà celui d’un halluciné. » On peut aussi appliquer cela à propos du Cri.  

Edward Munch n’aurait -t-il pas traduit par son art ce qu’il a perçu de la psychose chez sa sœur Laura avec La voix ? On pourrait alors évoquer à travers ce tableau une mélancolie souriante, cette colonne de lune donnant sa lumière au tableau , accompagnée d’un processus délirant. Aurait-il été guidé par ses cauchemars épouvantables suscités par les frais d’hospitalisations de sa sœur qu’il devait financer alors que son père n’avait laissé aucun héritage ?

A cette époque de sa vie, Edward Munch était parti à Paris, contre l’avis paternel, peu de temps avant son décès pour étudier la peinture à l’atelier de Léon Bonnat. Il s’y est vite ennuyé selon Dominique Dussidour. Il a du faire plusieurs aller et retour de Paris à Christiana et de Paris à Nice pour ses toiles à stocker où à vendre. De façon assez ramassée dans le temps il a dû être hospitalisé au Havre au décours d’un déplacement en Janvier 1891 pour crises de rhumatisme articulaire aigu. Son biographe cité ci -dessus évoque de fortes fièvres des délires et des phases d’agitations extrêmes. Nous avons du mal à nous y repérer car les indications sont assez floues. Il note pour nous une forte réaction aux abus d’alcool, d’absinthe, aux deuils successifs, mère, sœur âgée de 16 ans, père, et de plus à ce désastre que fut le grand nombre de ses toiles brulées lors d’un incendie et 1891 ;

Edward Munch était-t-il quelqu’un d’halluciné ? Il aurait écrit « j’aime la vie, la vie même malade. » Cette assertion est sûrement vraie mais on ne peut que remarquer que ses toiles ne respirent pas tellement la joie de vivre. Elles évoquent plutôt un état mélancolique latent, larvé voire patent en résonnance avec ses propres drames familiaux et personnels comme ce fut pour lui par exemple la destruction de ses toiles.

Ce qui évoque sa mélancolie sous-jacente se décèle facilement dans ses toiles ne serait-ce que par leur intitulé. Après la mort de son père, en 1889 ou 1890, il peint Nuit à Saint -Cloud et les premières ébauches du Cri, il exprime à ce moment-là que ce qui l’intéressait était les expressions de l’âme et non celles des yeux. Le moins qu’on puisse dire est que son âme était tourmentée. De 1890 à 1894, époque du Cri exposé pour la première fois en 1893, il travaille plusieurs tableaux, : Anxiété, DésespoirLa mort dans la chambre de la maladeLa voix , Le vampire  et Mélancolie .

Les années qui ont suivi la mort de son père ont produit les œuvres picturales les plus sinistres qu’il a inclut dans une série intitulée La fresque de la vie, un poème de vie, d’amour et de mort. Cela laisse perplexe.

Cette journée d’études intitulée Les figures de la mélancolie aurait pu être en quelques sorte une étude tournant autour du fameux  Cri  de Munch. Ce peintre a imprimé sur sa toile littéralement « Les figures de la mélancolie ».

Nous sommes loin de la lutte contre la dépression et la mélancolie menée par Aimée F., les voies de la mélancolie sont obstruées chez celle-ci et littéralement écrites dans la peinture d’Edward Munch.

Il faut savoir aussi que le peintre aimait à illustrer ses toiles de petits poèmes inversant ainsi le rapport entre image et illustration.

S’il n’existe pas de traduction du journal, ou tout au moins si je n’en ai pas trouvé chez les différentes librairies où je me suis rendue, néanmoins j’ai pu acquérir un livre de Jérôme Poggi éditeur, qui a pour titre Ecrits où il est fait état des aspirations littéraires de l’artiste et de son désir de les associer à sa création picturale.  Le cri et son poème peut se voir à la page 6, de même dans le livre d’Ulrich Bischoff  Le désespoir  avec le même procédé à la page 26.

 Le cri , relate Jérôme Poggi fait partie de ces poèmes en prose rédigés en lien avec les tableaux. Il y en a plusieurs versions comme celles de ses tableaux. Il est intéressant de vous en lire quelques fragments.

Si j’ai repris plus haut le type d’hallucinations repéré par Francisque Lélut à propos de Socrate c’est que je n’ai pu qu’en faire le rapprochement avec ce qu’écrit Edward Munchà propos de son fameux tableau ; « Je ressentis comme un cri transpercer la nature, j’ai cru entendre un cri (cela est mentionné également dans le livre de Dominique Dussidour et dans celui de Jérôme Poggi).

Nous repérons une cohésion parfaite entre ce qui a un caractère franchement xénopathique « je ressentis comme un cri transpercer la nature » et ce qui semble être un remaniement « j’ai cru entendre un cri ».

Alors à la faveur de ce qu’écrit Aimée F. dans sa lutte contre la menace des voix de s’emparer totalement de son corps, de faire corps avec l’objet a : « Bientôt il n’y aura plus de différence entre toi et les voix qui sont en toi », alors je me permets d’affirmer qu’avec Edward Munch, avec le cri, nous sommes dans la littéralité, dans l’écriture même du corps empli de la voix et sur lequel ne peut s’inscrire qu’un cri inaudible et sans parole. Un cri qui donne à voir une figure de la mélancolie où il ne reste qu’un lambeau de sujet dans ces mains se bouchant les oreilles de cette tête de mort dans la furie d’une fin du monde.

 Le Cri  aurait tout aussi bien pu s’intituler tout simplement  La voix .

Aimée F. s’en était sortie en remarquant que « Dieu merci, elle restait la source de ses pensées » ; on note que dans cette fulgurance elle tient la corde de sa place de sujet. Il n’en est pas de même pour Edward Munch qui là, à cet instant de sa vie n’est plus qu’une voix insonore qui ne dit rien, un sujet en lambeau dans un cri inaudible dans un monde en décomposition.

Cela a éclairé pour moi cette phrase énigmatique écrite par Aimée F. : « ces manifestations (les voix) semblent aussi être une certaine visualisation de ce qui relèverait de l’écrit. »

Ce tableau, le cri, est le littéral de la voix.

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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- Auteur : ANQUETIL NIcole
- Titre : Les voix, voies de la mélancoie
- Date de publication : 27-04-2017
- Publication : Collège de psychiatrie
- Adresse originale (URL) : http://www.collegepsychiatrie.com/index.php?sp=comm&comm_id=181