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FIGURES DE LA MÉLANCOLIE - JANVIER 2017


Quelques particularités cliniques




 

 

                                                QUELQUES PARTICULARITES CLINIQUES DE LA PRISE EN CHARGE DU PATIENT MELANCOLIQUE A L'HÔPITAL 

                                                                                                                         Collège de psychiatrie

                                                                                                                          Janvier 2017 Paris

 

 

 

Mon propos sera clinique, il envisage les embarras qui traversent le clinicien dans ses rencontres avec le patient mélancolique à l’hôpital.  J’aborderai successivement les trois temps qui habituellement caractérisent le processus de soin : l’entrée du patient, via les urgences le plus souvent dans les cas de décompensation mélancolique aigüe ; le décours des soins en service hospitalier psychiatrique ; la sortie du patient.  A l’occasion, nous toucherons à quelques questions théoriques.

 

 

LES URGENCES

Aux urgences, je distinguerai deux types de patients : le patient mélancolique amené par un tiers et le patient en voie de mélancolisation venu seul.  Je pars de ces deux types de situations en en grossissant les traits, mais bien entendu, dans la réalité clinique, les situations sont toujours moins typiques et comportent des traits particuliers plus affinés.

Dans la première situation, le plus souvent, c’est l’entourage qui fait la demande pour le patient.  La désolation, l’impuissance, l’inquiétude vitale de l’entourage motivent la consultation d’urgence avec le souhait bienveillant d’être débarrassé du patient qui suscite trop d’angoisse, et de faire en sorte qu’il se soigne, alors que lui-même n’est pas demandeur.  Mais de quoi en effet un patient mélancolique en phase aigüe pourrait-il être demandeur sinon de disparaitre.  L’indication d’hospitalisation est le plus souvent évidente au vu du tableau clinique général comprenant altérations diverses et risques suicidaires.  L’hospitalisation permettra aussi de soulager l’entourage en prenant quelques distances par rapport au patient.  L’accord du patient quant à l’hospitalisation est au mieux à moitié obtenu.  Il s’y oppose avec détermination assez rarement, son mutisme parfois, accompagné d’un haussement d’épaules, peut être pris pour un semblant d’adhésion, de toutes façons, ses préoccupations mentales pathognomoniques (envahissement de l’espace psychique par des convictions délirantes à thème de ruine, d’indignité, de fautes morales etc.) laissent peu ou pas de place à la mobilisation de ressources psychologiques aptes à une discussion.  Le plus souvent, il concède, résigné et taiseux, à l’hospitalisation en mettant fortement en doute toute possibilité d’amélioration.  Derrière le masque de douleur morale qui fige le visage du patient semble s’inscrire comme mot d’ordre : motus et bouche cousue. 

Si nous ne tenons compte que de cette question : indication ou non d’hospitalisation ? l’embarras du clinicien sera bien davantage prononcé dans le second type de situation.  Ici, le patient dépressif en voie de mélancolisation vient seul, il n’a pas ou plus trouvé d’autres portes à forcer, il s’est éloigné de toutes sortes de commerces humains, il vient entrouvrir un pan de son désarroi majeur.  Parfois c’est via un bord somatique, grâce auquel le patient se permet d’adresser sur un mode collatéral aux médecins un élément de son désarroi, que le patient pousse la porte de l’hôpital.  Le médecin urgentiste attentif peut dès lors appeler ses collègues pour un complément d’examen.  Ce dernier se devra bien entendu d’interroger les signes cliniques psychiatriques mais avec prudence car la mise en parole dans ces cas n’entraine pas nécessairement un effet de soulagement, de dégagement de jouissance.  

Il s’agira d’être très attentif aux décisions qui suivront.  Contrairement à la première situation dans laquelle l’indication d’hospitalisation immédiate est évidente et dans laquelle le patient n’est plus à même, le plus souvent, de s’y opposer, ici, avec un tableau clinique moins aigu mais préoccupant, les interrogations sur la suite des soins psychiques à donner ou à conseiller à un tel patient peuvent être très brûlantes.  En fonction des signes cliniques récoltés, est-il bien fondé de laisser retourner le patient ?  Ou bien est-il mieux de lui proposer un rendez-vous rapproché de post-urgence et de discuter à ce moment d’une possibilité d’hospitalisation ? Une hospitalisation immédiate même négociée avec fermeté si le patient s’y oppose, offrant sécurité et contention, n’est-elle pas préférable ?  Mais cette hospitalisation peut être prématurée et contre-productive, elle risque de refermer l’espace psychique du patient alors que sa démarche initiale était précisément de l’entrouvrir.  Est-il à même de faire un bon usage des médicaments si nous le laissons repartir avec une prescription ?  

La variabilité décisionnelle inter clinicien serait quasi nulle dans le premier cas,  un ordinateur incluant les « guidelines » classiques serait parfaitement à même de conclure tout seul à la décision d’hospitalisation, tandis que dans le second cas, des éléments singuliers et propres à la particularité situationnelle en jeu rentreront aussi en ligne de compte, ainsi la qualité globale de la rencontre clinique.  L’embarras du clinicien sera d’autant plus grand que des facteurs subjectifs – implication personnelle, engagement dans la relation, disponibilité institutionnelle et de soi, aptitude à l’accueil ou à l’hospitalité, sans parler des résonnances ou échos avec sa propre histoire, il est vrai, non spécifiques ici- interviennent dans l’évaluation clinique globale du patient et influencent inévitablement la constitution du tableau.  Ces facteurs personnels forcément singuliers vont entrainer dans ces cas une variabilité décisionnelle inter clinicien beaucoup plus grande. 

Quant au lien déjà évoqué avec la parole, le mélancolique en phase aigüe, mutique, fermé, en proie avec un tel souci intérieur qu’exprimer ce dernier semble parfois irréalisable, serait-il porteur d’une vérité qui doit se taire ? Serait-il habité d’une clarté qui l’aveugle concernant son propre jugement ?   Par contre pour le patient en voie à la mélancolie, l’énonciation de l’intime peut mettre en scène un dévoilement trop brut et entrainer un risque de pousse à l’acte, l’entrevue se devra dès lors de mettre des bornes dans le discours.  Sans bornes, une honte de soi pourrait advenir, une honte de s’être livré à un autre, d’avoir entre ouvert un instant un espace de soi si méprisable.  Cette question de la honte, fortement en jeu ici, l’est sans doute moins dans la mélancolie aigüe qui d’une certaine façon s’autorise de s’en faire l’impasse, comme le soulignait Freud, en exagérant la monstration de sa petitesse dans des mises en forme exhibitionniste.  Néanmoins, la honte, à distinguer de l’indignité, est bien présente dans la mélancolie en tant qu’expérience vécue douloureuse d’être mis à nu face à un regard trop pénétrant qui perçoit même fugacement la profondeur de la médiocrité subjective, pire l’imposture moïque du patient mélancolique.  « Motus et bouche cousue » est-elle une expression qui signifie que quelque chose doit rester tu ?  Est-ce que quelque chose de honteux ne doit ni se savoir ni refaire surface ?  Faut-il être à ce point malade pour être si proche de la vérité nous propose Freud[1].  Les liens entre mélancolie et vérité subjective sont aussi évoqués par David Bernard lorsqu’il nous fait part de l’idée que la mélancolie comporte une constante, à savoir qu’elle est un moment de trop grande lucidité subjective[2].

 

 

LE DECOURS DES SOINS

Il y aurait évidemment beaucoup à dire ici, mais le point sur lequel je souhaite insister est le suivant : la difficulté du contact avec le patient mélancolique.  Qu’est-ce que c’est que le contact ?  C’est difficile à dire en quelques mots, cela nécessiterait de larges commentaires ainsi que le faisait Jacques SCHOTTE en s’inspirant de cette catégorie chez SZONDI.  C’est une question clinique au sens propre, de s’incliner au chevet du malade dans une disposition de disponibilité et dont on croit qu’elle sera favorable à la rencontre.  Or, cette simple attitude qui est à la base de l’échange clinique est mise à mal dans le lien avec le patient mélancolique, avant même parfois toute prise de parole.  Le contact en tant qu’il précède la parole comme initiateur d’une première ambiance relationnelle engage le clinicien avec le patient mélancolique dans un espace désarçonnant, inhabituel, voire malaisé.  Parfois, si le clinicien est celui-là même qui a pu accueillir le patient aux urgences, alors des éléments de cette première rencontre pourront être réutilisés et permettront peut-être d’ouvrir un espace de complicité commune. 

C’est cette complicité que le patient mélancolique attaque sans cesse puisque de toutes façons nul ne peut le comprendre, nul n’est à même de partager sa douleur, nul acte ne peut racheter sa faute.  Ce refus de la complicité se marque dans les réticences multiples dont peut faire acte le patient mélancolique lorsqu’il est convié à un entretien clinique : un soupir de résignation, une opposition ferme, le maintien tenace d’un mutisme, un mépris affiché. « C’est pire quand je vous parle » énonce avec raison le patient mélancolique.  L’autre en général, le clinicien en l’occasion précise, du point de vue du patient mélancolique, ne constitue plus qu’un lieu d’adresse dégradé, un interlocuteur souillé, un « Nebenmensch » inversé.  C’est ici qu’il s’agit de ne pas céder, de tenir malgré tout à l’échange, au contact, à la parole, mais sans persécution, dans un espace relationnel parfois très étroit et où le point de complicité se fera sur un objet périphérique, apparemment anodin, comme le titre d’un article de journal posé sur la table de nuit du patient ou bien une triangulation fortuite dans la chambre avec la dame de ménage.  Tenir à l’échange malgré les attaques diverses « vous n’avez qu’à aller voir dans mon dossier » ou « j’ai déjà tout dit à l’autre docteur » est une tâche ardue, et pourtant être à même de faire un usage de ces attaques pourrait orienter l’entrevue un peu vers autre chose que vers les thèmes habituels.  Le contenu de ces attaques laisse entendre la mise hors-jeu du patient comme sujet, un sujet qui se renvoie à un dossier, à un objet administratif, comme s’il n’y avait plus rien à dire, plus rien de neuf, que tout était écrit, point final.  « C’est inéluctable », autre phrase qui signe l’enlisement de l’existence dans un cours certain vers une fin, qui fige non seulement la vie mais aussi la lettre dans une totale absence d’équivocité.

Aucun prochain ne lui est d’ailleurs secourable, ni même Dieu.  « Je  ne suis pas digne de te recevoir mais dit seulement une parole et je serai guéri» correspond à une phrase que les chrétiens prononcent avant l’eucharistie et qui fait entendre l’humilité humaine devant la grandeur divine.  Cette humilité n’est plus pensable par le patient mélancolique, qui désuni de Dieu, indigne et inguérissable, s’efforce de toutes parts de s’exclure de toutes formes de rédemption.  Cette persévérance dans l’abject, soutenue parfois, lorsqu’il veut bien parler, par une argumentation peaufinée digne d’un traité de rhétorique, ne peut que le laisser pour compte et avaliser sa condamnation aux enfers.  Ces thèmes religieux, souvent présents dans la mélancolie délirante et alimentés par des autoaccusations, ne peuvent se constituer comme tels qu’au regard d’une conscience renouvelée, une conscience qui entrevoit dans des actions passées des ignominies, des offenses alors que ces actions auparavant n’avaient apparemment choqué aucun ordre moral.  Cette nouvelle conscience, accusatrice, persécutrice, harcelante, scelle dorénavant le sens des choses et en fixe leurs significations.  Cette mise à l’arrêt du sens, qui peut s’accompagner d’une mise à l’arrêt du corps, endommage la prise de contact avec le patient mélancolique, voire l’annule ou même l’aboli si la maladie en vient à emporter le patient.

Mais d’où vient cette conscience nouvelle ?  Que s’est-il donc passé pour qu’un revirement moral advienne à ce point ?  Quel crime a donc commis le mélancolique ? 

Ces questions permettent parfois d’orienter les entrevues cliniques vers la perte irrémédiable d’une position de protection et de bienveillance que le mélancolique avant sa décompensation pensait avoir auprès d’une autorité consistante, ou bien sous la certitude d’un idéal à poursuivre ou encore à l’abri d’un grand autre non barré.  Cette chute en vient à annuler tout nouvel investissement de la réalité au profit d’un acharnement infini sur soi.

 

 

LA SORTIE DU PATIENT

Il faudra se méfier d’une évaluation clinique qui ne prendrait en compte que des critères comportementaux ou phénoménologiques globaux, comme la rémission des apraxies ou de la clinophilie, un début de participation aux activités collectives ou encore des manifestations d’améliorations thymiques grâce à la chimiothérapie.  Il y a lieu de se réjouir de ces bonifications mais aussi de considérer que ces critères divers peuvent être parfaitement feints par le patient qui a compris que là précisément se jouait son ticket de sortie. 

Du point de vue psychique, il serait préférable de pouvoir évaluer la manière dont l’évolution du rapport à l’abject s’est transformé au cours de l’hospitalisation.  Une tempérance a-t-elle pu se constituer ?  Ce point de vue n’est pas à l’abri d’une tentative de leurre de la part du patient mais il nous semble malgré tout plus proche du cœur de l’évaluation clinique. 

Ce rapport à l’abject peut à l’occasion se modifier radicalement, ainsi dans certaines sorties de la mélancolie par un renversement paranoïde dans lequel l’abject sera projeté sur l’autre.  Cette évolution est sans doute un peu plus confortable pour le patient, peut-être pas moins pour son entourage, mais une tempérance, une nouvelle fois, de la projection cette fois ci, serait souhaitable pour éviter des revendications trop exacerbées qui pourraient alimenter les futurs auto-reproches lors d’une prochaine décompensation mélancolique.  Ce rapport à l’abject peut aussi complétement se différentier selon le passage d’une langue à l’autre.  Ceci nous amène sur les terrains complexes des liens entre bipolarité et bilinguisme d’une part, et entre mélancolie et langue maternelle d’autre part.  Mais une fois encore, il faudra nuancer car nous savons que l’exil de la langue maternelle est propice à donner des conditions favorables à l’éclosion d’une mélancolisation de l’existence.  Par contre, une langue autre que celle maternelle, investie par un sujet, animé par un désir de connaissance, d’intérêt et de culture, peut donner un asile plus consistant, cette néo langue faisant barrage à l’abject.  Cette néo langue n’a pas besoin nécessairement d’être une langue courante ou officielle, elle peut aussi être une production propre au sujet constituée d’emprunts divers.  Et enfin, la sublimation, comme processus créateur, peut offrir au patient mélancolique un rapport dévié à l’abject et de la sorte l’en éloigner quelque peu en lui redonnant un abri protecteur[3].

 

 

 

 

 

 

 



[1] Freud, Sigmund. « Deuil et mélancolie. Extrait de Métapsychologie », Sociétés, vol. no 86, no. 4, 2004, pp. 7-19.

[2] Bernard, David. « Les objets de la honte », Cliniques méditerranéennes, vol. 75, no. 1, 2007, pp. 215-226.  Dans ce texte, Bernard propose, s’inspirant de l’article précédent, la paraphrase « l’ombre de l’abject est tombé sur le moi ».  Nous reprenons ce thème de « l’abject ».

[3] Dissez, Nicolas. « Pour en finir avec la bipolarité », Journal français de psychiatrie, vol. 42, no. 2, 2015, pp. 69-75.  Nous conseillons la lecture de cet article pour aller plus avant sur ces questions.



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- Auteur : DELGUSTE Bernard
- Titre : Quelques particularités cliniques
- Date de publication : 31-05-2018
- Publication : Collège de psychiatrie
- Adresse originale (URL) : http://www.collegepsychiatrie.com/index.php?sp=comm&comm_id=189