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MELMAN Charles. Qu'appelons nous psychopathologie?


Le Collège de Psychiatrie a invité :   


                                                                                        Charles MELMAN


           Psychanalyste, Psychiatre des hôpitaux, fondateur de l’Association Lacanienne Internationale Sur le thème : 

                                                                               Qu’appelons-nous Psychopathologie ? 

                                                                                        Mercredi 1er décembre 2010      


Michel Daudin : Nous sommes heureux – Le Collège de Psychiatrie et les collègues qui travaillent avec nous et au Collège de Psychiatrie – d'accueillir Charles Melman qui a bien voulu répondre à certains de nos questionnements et à une question plus particulière qui a été une question qui, pour ma part, avait posé quelques interrogations, dès l'ouverture du Collège de Psychiatrie il y a quelques années. Cette question se repose pour moi et pour certains de nos collègues, lorsque nous avons, chaque année ici à Henri Ey, pour nos mercredis, à diriger le cours de notre travail. Il m'a donc semblé que cette interrogation que vous avez bien voulu reprendre sur ce mode : « Qu'appelons-nous psychopathologie ? », pouvait être une bonne orientation pour le travail de toutes les personnes qui s'occupent de « santé mentale », de psychiatrie, ainsi que les psychologues, et également quelques infirmiers, qui sont avec nous ce soir, enfin, tous ces signifiants qui sont, parfois acceptés, parfois pas acceptés. J'ai repris le mot de « santé mentale », qui est un mot qui effectivement apparaît parfois comme incongru, je dirais même que peut-être à une certaine époque, je trouve que le mot « psychopathologie » a pu apparaître comme incongru — me semblait-il. Donc, je me permets de vous laisser la parole le plus rapidement possible.  

Charles Melman : Merci Michel Daudin.   Alors ce que je vais essayer de vous exposer, c'est que si la psychopathologie n'est toujours pas une discipline dont on puisse se féliciter de la rigueur, c'est, et je vais essayer de vous le montrer, parce qu'elle est prise par le biais du savoir médical. Ça, c'est bien ennuyeux ! Je crois qu'il nous faut le considérer pour quelques raisons que je vais essayer de vous exposer.   La première : c'est que pour le savoir médical, la cause de la souffrance est bien entendu confinée dans l'enceinte du corps. Or, comme nous le savons, celui auquel nous avons affaire est un animal social. Autrement dit, nous pouvons vérifier que la cause se manifeste d'abord dans la relation que cet animal social noue avec autrui – non pas dans son corps – mais dans la relation qu'il noue avec autrui, et cela sans que forcément se trouve un quelconque dommage physique inscrit dans l'enceinte de son corps. On admettra donc que pour le psychiatre en tout cas, la souffrance psychique est fonctionnelle, et qu'elle est inscrite dans la relation à autrui, voire à soi-même, dès lors que soi-même fait partie, je dirais, de ce qui est pour un sujet « autre ». Et ce que jusqu'ici, à cet égard, a pu visualiser le progrès de l'imagerie médicale, c'est bien entendu – beaucoup moins qu'une localisation fonctionnelle quelconque – : la pluralité des circuits qui sont dans leur globalité sollicités par le fonctionnement psychique. Ceci venant en quelque sorte à l'appui du rappel du caractère fonctionnel des troubles auxquels nous avons affaire en psychiatrie.   Le second point, c'est qu'il est bien évident qu'à l'image du fonctionnement des organes du corps, eh bien, on a procédé – et cela depuis Aristote – à l'isolement des facultés : mémoire, attention, motricité, sensibilité, affectivité, langage, etc. et dès lors, le trouble manifesté étant rapporté à un dommage porté à l'une de ces facultés, elle-même étant plus ou moins repérable par une cartographie fine du cerveau. J'ai laissé tomber en cours de route « faculté du jugement ». Je me rappelle comme ça – parce que ça fait partie des petits souvenirs et puisque nous sommes ici dans la maison Henri Ey –, d'une discussion publique justement avec Henri Ey, à Magnan, – avant que ce soit une cantine, c'était encore un amphithéâtre –, eh bien, discussion qui rappelait sa thèse comme quoi la maladie mentale était une atteinte de la raison. Il le disait à peu près comme ça, je ne me souviens plus de la formulation exacte, mais ça revenait à ça : une atteinte de la raison. Alors qu'évidemment c'est renvoyer le problème, d'abord parce que la "raison" est un terme dont le plurisémantisme est absolument avéré, et que d'autre part, il conviendrait – cette raison – de la définir, ce qui, comme nous le savons, relève déjà d'un exercice proche de la psychopathologie.   Là-dessus, il faudrait sûrement reprendre ce que M. Heidegger a pu là-dessus écrire et qui reste pour nous d'actualité. Quoi qu'il en soit, cette évocation des facultés et donc de centres dévolus à leur fonctionnement, nous rappellerait, s'il le fallait, que la psychopathologie ainsi conçue implique évidemment la forclusion radicale du sujet. Il s'agit d'organes dont le dysfonctionnement viendrait rendre compte du malaise.   Le troisième point qui nous obscurcit à mon sens l'horizon, est que la notion de souffrance mentale – dont rend compte le terme de "psychopathologie" – reste indiscutée, alors que, comme je le faisais remarquer il y a quelques jours dans l'École Pratique, il y a des manifestations de parfait bonheur, de parfait bien-être, et qui sont à l'évidence identifiées comme psychopathologiques.   Il n'y a pas besoin d'évoquer le bonheur du maniaque dont l'exaltation est elle-même trop parlante ; mais on pourrait évoquer le bonheur silencieux du phénomène de l'élation – ça ne gêne personne, c'est un problème tout à fait interne, et vraiment d'un bonheur accompli – ; le bonheur qui accompagne le temps premier de l'érotomanie, la certitude d'être enfin, enfin aimé ; voire le bonheur subjectif propre au paranoïaque ; ou encore le bonheur qui accompagne toutes les identifications collectives réussies, telles qu'elles se manifestent sous les régimes autoritaires. Il est là-dessus absolument indéniable que le régime autoritaire a le bénéfice de procurer à ses adeptes un bonheur subjectif, vérifié, avéré, ne serait-ce justement qu'avec le bénéfice d'exclure la dimension Autre, pour ne plus laisser en place, comme on le sait, que celle de l'étranger, et avec les quelques conséquences que cela peut avoir.   Un autre point encore et qui témoigne combien le biais du savoir médical vient contrarier un abord qui serait plus rigoureux – de la psychopathologie –, est évidemment un problème de méthode. En effet, il est bien clair que la méthode médicale est fondée sur l'observation. Autrement dit, tout ce qui relève principalement du domaine du visuel. L'observation clinique, et pour ceux de ma génération, je dois dire, rétrospectivement, je continue de m'émerveiller sur la subtilité des signes cliniques qu'il était permis aux médecins compétents d'observer. Je me souviens bien, ne serait-ce que, bien évidemment, de la description des diverses sortes de crachats que vous pouviez observer dans un verre et qui pouvait vous permettre, rien que par l'observation, de distinguer un certain nombre de pneumopathies : par exemple « crachats de la dilatation des bronches, de celui de l'asthme, ou de la pneumonie », etc. Et donc, la prévalence donnée – en tant que méthode – à l'observation, y compris bien sûr lorsqu'il va s'agir du laboratoire, voire même de la recherche, puisqu'il s'agira de l'étude d’un processus physico-chimique sur lequel je dirai un mot un peu plus tard.   Remarquons ceci : c'est que, nous le savons, le domaine de l'observation, le domaine visuel, est forcément organisé par le champ des représentations, de la représentation. C'est-à-dire un champ qui n'est pas neutre, qui n'est pas un champ naturel, mais qui est un champ construit, même si quand il s'agit de médecine nous avons affaire à un problème organique, à un problème naturel. Le champ de la représentation est un domaine lui-même construit, comme nous le savons, et il faut sans doute saluer ce qui a été le progrès, sur lequel on continue légitimement à mon sens dans l'histoire de la pensée, de s'extasier, les progrès réalisés par l'anatomie. L'étude de l'anatomie, ce qui n'est pas allé de soi, comme vous le savez, dans la mesure où il s'agissait là justement de dépasser le domaine de la représentation, celui réalisé par l'observation du corps dans le champ de la perception, pour essayer d'atteindre son réel. Et c'est là assurément un progrès qui bien sûr a marqué cette étude.   Ce report de l'observation du champ des représentations au réel du corps marque à mon sens un indéniable progrès. Et avec cette remarque encore, c'est que l'application des lois physico-chimiques à l'organisme, n'a nullement permis de dégager, contrairement à ce qui s'est passé pour d'autres domaines, justement des lois qui auraient été propres à l'organisme. On a appliqué à l'étude de l'organisme des lois physico-chimiques qui venaient de l'ensemble de l'étude des phénomènes naturels, autrement dit, l'étude du corps du point de vue de la physico-chimie ne nous a rien appris de spécifique, alors que nous pouvons clairement retenir que l'organisme humain ne peut aucunement être assimilé aux autres organismes animaux, et cela pour des raisons qui sont absolument évidentes,  puisque nous savons tous de quelle manière les manifestations psychopathologiques viennent perturber – de façon parfois dramatique, et parfois jusqu'à la mort, comme autrefois dans les délires aigus – les fonctions de l'organisme.   Et donc que nous sommes obligés de retenir ceci : c'est que l'organisme humain ne peut en aucun cas être attribué…, être rapporté simplement à ce qui serait le jeu ordinaire, habituel, que l'on observe chez l'animal de laboratoire, d'un certain nombre de règles fonctionnelles ou physico-chimiques et nous avons à l'évidence, sous les yeux, le fait que des perturbations psychiques viennent endommager – de façon qui peut être grave, qui peut être définitive – le fonctionnement du corps. Il nous faut donc retenir de manière qui semble relever de la démarche la plus simple, la plus immédiate, que l'organisme humain relève donc de lois originales, que son fonctionnement relève de lois originales et que dès lors il appartient effectivement à ceux qui s'intéressent à ce domaine, de tenter de dégager ces lois-là.   Ceci étant, c'est dans cette situation en impasse – et qui dure bien évidemment – que le plus grand des hasards a fait que le dénommé Freud s'est trouvé là, déboucher d’une manière qui n'était aucunement visée et qui n’était aucunement attendue. Il s'est trouvé déboucher sur ceci, à partir de phénomènes somatiques observés à cette occasion chez l'hystérique, mais qui se sont trouvés repris plus tard et dans d'autres circonstances à propos de la névrose obsessionnelle. L'hypocondrie, il n'en a pas beaucoup parlé. C'est à propos donc, en tant que médecin sollicité par des phénomènes somatiques, il a été amené, sans savoir ni trop comment ni pourquoi, à voir que par le procès de la talking-cure, eh bien, était susceptible de se produire un certain nombre de modifications dans ledit organisme. Et cela sans même bien percevoir, y compris par sa pratique, puisque c'est de façon aveugle, je dirais intuitivement juste mais pas forcément clairement théorisée, que la procédure du divan a mis en évidence que c'est dans la mesure où la parole est adressée, non pas à un semblable en face à face, mais est adressée à on ne sait qui, et dans la demande de on ne sait quoi. Autrement dit, que se trouve ici mise en place dans l'adresse de la parole, la dimension de l'Autre, du on ne sait qui, qu’était susceptible de se produire un certain nombre d'effets, concernant éminemment le corps, et je passe évidemment sur les problèmes qui étaient au premier chef ici intéressés : ceux du fonctionnement sexuel bien sûr.   Ce qui chez Freud a fait butée, c'est que bien évidemment il ne pouvait penser – comme nous-mêmes d'ailleurs –, que dans le champ de la géométrie plane, de la géométrie euclidienne. Et c'est ainsi qu'avec ce schéma que j'ai souvent l'occasion de rappeler, et qui se trouve au début des Études sur l'hystérie, et qui a le mérite d'avoir la fraîcheur des origines – c'est assez fascinant ! – eh bien, il tâche de rendre compte de la différence entre hystérie et névrose obsessionnelle – dans ce schéma – par le fait que ce qui est sexuel dans le cas de l'hystérie, se trouve rejeté dans le corps, qui se trouve séparé du psychisme par une limite — psychisme qui donc lui se trouve le lieu de recel de l'objet sexuel – dans la névrose obsessionnelle. Et donc, la distinction de ces deux grandes névroses par premièrement l'établissement de cette coupure dans l'espace plan entre psyché et soma, et d'autre part le fait donc que l'objet sexuel se trouve dans l'hystérie rejeté dans le corps, au-dessous donc de cette limite, tandis que dans la névrose obsessionnelle, il reste enclos, inclus dans le champ de la psyché.   Il est frappant de voir aujourd'hui pour nous – alors que nous disposons d'autres références, je dirais “géométriques” – de voir combien effectivement le passage de ce plan à un espace topologique, est susceptible aussitôt d'introduire le type de modifications susceptibles de grandement nous éclairer sur ce qui constitue l'objet propre de la psychopathologie.   En effet, nous continuons de fonctionner toujours dans une tradition qui nous vient de l'Antiquité. Il est remarquable combien à cet égard, non seulement nous répétons, mais je dirais nous répétons beaucoup plus grossièrement que ne le faisaient les premiers, il y a 2500 ans. Ils le faisaient avec beaucoup plus de finesse, d'élaboration, de délicatesse, et de sophistique etc. Nous continuons, bien évidemment, à séparer la psyché du soma, bien sûr, et nous continuons de situer dans la psyché le siège des phénomènes de la vie mentale — dans le cerveau donc. Nous continuons innocemment de le faire, alors qu'il est tout à fait avéré, vérifié, d'une part comme je l'évoquais tout à l'heure, que la pathologie mentale a des influences immédiatement inscrites dans le fonctionnement corporel sans qu'on ait à parler de psychosomatique. La psychosomatique est un domaine à part, là où en quelque sorte la réunion est un peu trop évidente. Mais en dehors de toute psychosomatique, il est clair que l'hypocondrie par exemple, la perception par un sujet que son corps n'est plus celui de son intimité, mais fonctionne comme un corps étranger, et donc du même coup toujours menaçant et menacé. Le formuler de la sorte, à la fois a l'avantage de nous rappeler la manière dont la pensée se fait avec le corps, et non pas comme ce qui serait simplement une imposition au corps mais comment et pourquoi pas la pensée viendrait aussi bien, je dirais et c'est bien le cas de l'hypocondriaque, il ne pense pas l'hypocondriaque, ça lui vient du corps, et le corps qui est là comme un corps étranger ; ça peut aussi – comme nous le savons –  être l'une des manifestations de l'hystérie, et conduire bien entendu dans le champ opératoire. Et donc, pour prendre simplement cet exemple de l'hypocondrie – mais on pourrait en prendre à tout moment tellement d'autres – pour témoigner simplement de cette solidarité dans la dynamique de la pensée, entre ce que nous appelons l'esprit, ou le mental, et le corps, et de telle sorte que le lieu d'où ça vient n'est absolument pas évident. Le “P’tit Père Lacan”, il disait : « Moi, je pense avec mes pieds ! ». Il disait « je pense avec mes pieds », parce qu'il s'était sans doute pris les pieds dans une marche, ou contre un caillou, ou je ne sais quoi, et dès lors, la rencontre du réel par le corps, la rencontre du réel, était ce qui aussi bien avait suscité la pensée – ceci d'ailleurs nous fournissant un pont, nous fournissant un lien – puisque à suivre par la voie de l'anecdote, ou de cette remarque apparemment incongrue d'en tirer la substance, nous serons amenés à dire, pour ceux dont la référence lacanienne est un peu vérifiée, que c'est du Réel que vient la pensée.   Dernier élément, dont il se trouve que Freud est venu par cette pratique tout à fait hasardeuse, mettre en place, et dont nous ne sommes toujours pas parfaitement revenus, c'est que la psychopathologie ne relève plus de l'observation – alors combien ça le lui a été reproché cela : « il se colle derrière, il a peur, il est timide, il est honteux – tout ce que l'on voudra –, il ne veut pas qu'on voit ses désirs sexuels pendant les séances », tout le machin..., ne relève plus de l'observation..., et vous allez dire : « Ah ben voilà ! Ça relève de l'écoute.» Avec l'écoute, d'une certaine manière, on est encore dans le stéthoscope, et il faudra là aussi Lacan pour dire que, le travail là de l'analyste, relève d'une lecture. Et c'est un franchissement considérable, puisque cela fait relever la psychopathologie d'effets d'écriture et qu'il y aurait donc à déchiffrer comme tels.   Vous voyez en tout cas par ce parcours que je fais au pas de charge, et que je me permets de faire au pas de charge, en jugeant votre auditoire, je dirais averti et sensible à cette argumentation, combien nous sommes entièrement ailleurs que dans la procédure propre au savoir médical. Et que à aucun moment nous ne pouvons penser à une confusion. Évidemment il y a, du point de vue somatique, des maladies qui sont propres à l'organisme, indépendamment bien sûr de la distorsion qu'il subit du fait d'être habité par le langage. Il est bien évident qu'il y a toutes les maladies que l'on connaît, que l'on voudra, et qui relèvent d'un fonctionnement organique, et dans la mesure où nous restons complètement ignares, bien que nous les soupçonnions vaguement – mais nous ne le savons pas comment avancer là-dessus –, sur le fait qu'un certain nombre de ces maladies ne semble pas survenir par hasard, et qu’il y a des coïncidences, ou des moments de survenue, qui peuvent ne pas du tout paraître quelconques. Mais on ne peut que l'évoquer vraiment tout à fait à l'arrière-plan, car nous sommes bien loin d'être en mesure là-dessus, d'être un peu mieux informés, mais il y a des maladies organiques graves, et qui n'interviennent pas ni dans leur localisation ni dans leur forme, manifestement quand on a des patients que l'on suit, elles n'interviennent pas à n'importe quel moment ni n'importe où, et elles ne connaissent pas non plus n'importe quelle évolution, alors même que la gravité est avérée. Et inversement, vous voyez, pour ceux qui ont là-dessus un peu d'expérience, survenir des maladies extrêmement graves et qui portent un diagnostic absolument létal, garanti, et rapidement, et Pan !, à la stupéfaction générale… Pouff ! En un mois, c'est balayé, on n'en parle plus. Il y a là des domaines qui ne s'apparentent en rien au domaine du miracle, mais il est bien évident que nous sommes… – du fait des conditions de notre approche de ces problèmes – … que nous ne pouvons simplement que les retenir en s'interrogeant sur ce qu'il se passe.    Alors, s'il fallait avec ce que j'ai pu en cours de route très rapidement évoquer comme le fait que la pensée… c'était du réel qu'elle venait à s'alimenter… et du choc avec le réel. Et que le lieu de ce réel venait forcément concerner, aussi bien ce que l’on appelle le processus psychique, que le corps pris comme organisme, sans que pour autant il soit en continuité, car nous savons justement grâce à la topologie introduite par Lacan, qu'il y a des modes de séparation-réunion, je vous renvoie là au symbole du poinçon « séparation-réunion ». Il y a des modalités de séparation-réunion qui sont tout autre chose qu'une coupure dans le plan, qui marquent une frontière. La séparation-réunion marque le rapport à l'Autre. Ce qui est tout autre chose que le rapport établi par une coupure, par une frontière avec ce qui est en dehors, l'étranger.   L'Autre est en exclusion interne, et le corps ne peut pas être pensé en dehors de ce caractère d'exclusion interne. On a avec le corps – je me permets de vous le dire, je serai amené à le développer demain dans un autre lieu – mais nous avons avec le corps un rapport qui reste, permettez-moi cette expression, un rapport de primitifs ! Ne serait-ce que la phénoménologie du corps, car il est bien évident que nous avons conservé vis-à-vis du corps, le mode de rapport de l'Antiquité avec cette opposition entre une âme intemporelle et idéale, et un organisme animal et périssable. Et nous continuons de nous promener, chacun d'entre nous avec le corps, comme si c'était un animal plus ou moins domestiqué. On le promène au bout d'une laisse, et il faut qu'il soit bien sage ! Alors là on est content, il est bien élevé… Il fait ses besoins là où il faut… Et il n'est pas trop exigeant, et on peut se mettre d'accord avec lui. Ce mode de rapport au corps, rapport avec ce qu'il y a à la fois de plus intime mais qui est en même temps Autre, et avec lequel s'exerce une sorte de concurrence, quant aux effets de maîtrise, une sorte de guerre : le fameux conflit psychique. Qui va gagner ? Qui, là, est dans son bon droit ? Et comment faire pour qu'il y ait réconciliation…, et conciliation ?   Nous sommes toujours, dans notre culture, dans un rapport de ce type, avec le corps. C'est-à-dire que nous avons toujours affaire à un sujet qui oscille entre un idéal systématiquement insatisfait, et un objet source d'une insatisfaction irréductible et permanente. Voilà notre sujet. Nous avons affaire à un sujet qui  se balade plus ou moins heureusement, entre cet idéal, jamais content, et puis un objet qui ne convient pas. Ce qui revient à dire que la norme psychique, eh bien c'est ce que l'on sait, c'est la souffrance de l'existence. Avec, dans cette souffrance, ce que nous propose la culture – à distinguer de la civilisation. La culture, c'est-à-dire les objets à la mode susceptibles de venir nous faire oublier cette souffrance. Vous savez qu'à cet égard, les modes évoluent et les objets également. Et que l'on pourra même dans ladite culture élever un culte à ces objets, susceptibles de venir aussi bien nous faire oublier notre carence eu égard à l'idéal, et également le caractère défectueux, toujours à réparer, à renvoyer à l'industriel, aux fabricants de l'objet avec lequel nous sommes supposés nous satisfaire. Ces dits objets dans la culture étant supposés venir tamponner cette souffrance propre à l’existence.   Ceci étant dit, cette souffrance propre à l'existence, est radicalement à séparer de la pathologie à proprement parler. C'est-à-dire des modalités, pour justement éviter cette souffrance. Comment la pallier ? Comment traiter cette souffrance par le biais des divers mécanismes de défense, et cela évidemment dans l'imprévision absolue pour chacun, du type de conséquences que cela pourra avoir ; et y compris le fait que dès lors, avec ces procédures d'évitement, eh bien ladite souffrance va dès lors occuper tout le champ psychique, et s'exprimer comme telle : être non plus simplement le fonds existentiel propre au sujet, mais devenir celui d'un porteur, de quelqu'un qui est frappé par la pathologie et qui se présente donc comme un malade.   Alors dans tout cela, j'aborderai encore avec vous en un instant, une ultime question.   Est-ce que cela nous autorise pour autant à écrire une clinique ?   La clinique psychiatrique, qui justement est fondée sur le dépôt de siècles d'observation, liée au pouvoir de l'observation, et qui en cette occurrence, ce dit pouvoir s'est révélé avoir une certaine efficacité pour l'établissement d'une nosographie : — si par exemple j'écris : « attitude d'écoute » – ceci lié à l'observation d'un patient –, ce n'est pas préjuger d'un processus, mais c'est quand même, par l'observation, laisser soupçonner qu'il y a des phénomènes hallucinatoires, — si je dis « dissociation mimique », il y a également lieu de soupçonner... voilà quelque chose qui est lié à l'observation, qui est lié à l'évidence, et qui laisse soupçonner justement, entre le corps, l'expression corporelle, et la vie psychique, un type de hiatus qui fait que ça ne circule pas etc., — si je parle de « fuite de la pensée », il est évident que c'est là aussi lié à l'observation immédiate, et cela vient effectivement rapporter un flux idéique qui est indiscutable, présent, etc. D'autre part, ces divers symptômes ont effectivement permis l'isolement d'entités nosographiques – je ne vais pas évidemment les reprendre – et qui sont parfaitement fondées.   Il reste néanmoins – et c'est bien notre problème – que cette réussite dont témoigne la clinique psychiatrique, par le biais que j'ai tout à l'heure décrié, de la simple observation, cette réussite bute sur le fait qu'elle ne peut déboucher sur aucune autre recherche qui ne mène fatalement à des manoeuvres d'investigation cérébrale. Il y a là une fermeture – quant à l'interprétation – valable, valide, des mécanismes en cause, sauf à se référer – puisque nous sommes ici chez Henri Ey – par exemple, à ce que fut de sa théorie de l'organo-dynamisme au bravais- jacksonnisme, autrement dit à des thèses neurologiques, et dès lors retomber dans une impasse dont non seulement nous ne sommes pas sortis, mais dans laquelle à l'évidence nous sommes en train massivement de replonger. Avec cette fois là – Henri Ey avait réussi… obtenu du Ministère la séparation de la Neurologie et de la Psychiatrie – et nous sommes aujourd'hui devant ce qui est non plus la séparation des deux disciplines mais la disparition de la Psychiatrie. Il n'y a plus que la Neurologie. Autrement dit, comme nous le voyons : ce fait que la qualité de la clinique psychiatrique ne débouche pas, ne nous donne pas les moyens d'un progrès que l'on puisse estimer valable dans ce domaine.   Alors surgit une dernière question : est-ce que du même coup une clinique qui serait fondée sur les procédures de lecture et avec l'appareil propre à ces procédures, est-ce qu'une clinique psychanalytique, serait mieux en mesure, de quoi ? Bien, de nous permettre d'être peut-être plus… mieux actifs. Et pas seulement dans la question de la névrose qui reste toujours éminemment ouverte. Je vous rappelle que les quatre psychanalyses dont Freud a fait état – puisque la cinquième est livresque – sont toutes des échecs. Et lui-même ne s'en est jamais caché. Il a terminé quand même dans la plus grande des déceptions. D'autre part, il y a des questions que nous ouvre évidemment la psychose, et qui étaient ouvertes – Lacan a terminé là-dessus son parcours, à propos de Joyce. C'est là-dessus qu'il a terminé. Autrement dit sur la façon particulière dont Joyce avait pu traiter tout seul comme un grand sa propre psychose, et une tentative d'évaluer ce qui avait pu se passer ? Comment il avait éventuellement pu faire ?   Alors, est-ce qu'il y avait une clinique psychiatrique à écrire ?   Je m'empresse tout de suite de vous dire qu'à l'École Freudienne de Lacan – qui s'appelait l'École Freudienne de Paris – la clinique était très mal vue, et que, il semblait au contraire nécessaire de respecter chaque fois la singularité de chaque cas, au détriment de tout ce qui serait généralisation, qui dès lors aurait pu avoir des effets abusifs. Il donc, le décri porté sur la clinique, pas seulement par Dolto, mais également – je ne vais pas citer forcément des noms – mais les plus proches autour de Lacan – de telle sorte que vous ne trouverez pas parmi ce que ses élèves ont pu établir – de documents cliniques. Je peux dire, sans me vanter, que je suis sûrement l'un des seuls à avoir là-dessus apporté quelque chose, de façon d'ailleurs innocente et sans très bien savoir ce que je faisais, avec cette histoire du mur mitoyen, mais où justement tout tournait autour de ceci : c'est ce qui se passait, dès lors que ce qui venait de l'Autre, opérait non plus sur la face unique d'une bande de Moebius, mais opérait sur une bande biface. Et que dès lors, ce qui venait de l'Autre, prenait le caractère hétérogène, étranger, que n'a en rien ce qui vient, ce qui se produit, ce qui se manifeste, dès lors que c'est de l' « autre ». Cette familiarité que même a l'obsessionnel avec ses propres..., vous savez de quelle façon l'obsessionnel, en psychiatrie, est volontiers méconnu, car les conséquences sur sa vie et ses conduites peuvent être sévères, et combien..., moi je me souviens, quand je suis arrivé dans les Services, je trouvai de purs obsessionnels qui étaient hospitalisés là depuis des années, sans que cela provoque la moindre émotion, il semblait tout à fait normal que..., c'étaient de purs obsessionnels, or l'obsessionnel a pour particularité, même s'il a cet idéisme, ces injonctions idéiques, permanentes et qui viennent le perturber, et qu'il distinguera radicalement de ce qui serait des phénomènes hallucinatoires.  Ça n’est jamais… Il reconnaît toujours son propre être dans ces pensées qui lui viennent, même s'il les récuse, comme ne pouvant venir que de ce qui a de plus abominable en lui, c’est ce que Freud..., Freud dira aussi, que l'inconscient c'est ce qui est le mauvais, le méchant et le pas bien etc. Mais donc, même chez l'obsessionnel, vous voyez très bien que le rapport se fait à partir de l'établissement, de la mise en place d'une coupure moebienne, et que ça diffère radicalement la névrose obsessionnelle d'une psychose, où, là au contraire, vous avez ce que j'appelais le phénomène du mur mitoyen, c'est-à-dire que ça se produit toujours de l'autre côté d'une cloison commune, ou d'un plafond commun, ou d'un plancher commun. Mais qu'il y a toujours cette espèce de plan commun et le fait que ça vient systématiquement de l'autre côté. Bon ! Peu importe ceci.   Mais pour revenir et conclure sur cette question : est-ce que se propose l'établissement d'une clinique psychanalytique ?   À mon sens, assurément, s'il s'agit de montrer les lois générales du rapport au signifiant, qui sont celles éprouvées par tout parlêtre, ce ne sont pas des lois singulières, ce sont des lois générales. Et il y a donc des effets forcément communs, avec des modalités spécifiques selon le type de choix qui se sera imposé au sujet, mais il est bien évident que ce sont des expressions communes et que c'est pourquoi nous pouvons légitimement parler d'hystérie, de névrose obsessionnelle, de phobie, de perversion etc. Mais, mais… et c'est une restriction qui me paraît essentielle et je conclus là-dessus.   Vous savez que le propre de la science, de ce qui caractérise la démarche scientifique – ce qui tourmente tellement dans notre domaine – comment être scientifique ? Autrement dit, comment ne jamais arranger les choses chacun à notre manière, et selon nos idéaux, et selon les petits copains qui vont plus ou moins bien les recevoir, alors il vaut mieux les arranger de telle sorte que ce soit populaire et qu'on se rende populaire. Bon, d'accord ! Eh bien, le problème de cette clinique, c'est que, si la science permet de prévoir ce qui va se produire, la démarche scientifique c'est ce qui assure la prévisibilité des phénomènes à venir, qui... Vous savez aussi que justement le propre de la névrose, c'est la répétition. C'est-à-dire que d'une certaine façon, vous pouvez aussi, là, prédire ce qui va se produire. Il y a même sûrement un passage rapide fait entre ceci, c'est que nous pouvons vérifier dans le comportement des uns et des autres, que, avec le processus de répétition, il y a du prévisible dans le monde. Ah oui, ça va toujours se passer comme ça ! Ça va se répéter comme ça. La gravitation va être la même. Mais dans le cas où nous avons – nous – à nous servir de cette clinique, et c'est là la restriction qui paraît essentielle, c'est que nous avons à refuser de la faire fonctionner dans un champ qui serait celui de la maîtrise sur l'avenir. Autrement dit, à substantifier le sujet, dans cela même dont il souffre, c'est-à-dire la répétition névrotique, mais en quelque sorte – et c'est ce que recommandait Lacan – oublier chaque fois la clinique, oublier notre savoir, afin justement d'être sensible, d'abord à respecter ce qui serait une issue possible pour le sujet, sortir de la répétition. Et d'autre part à ne pas venir l'entifier par sa maladie diagnostiquée, mais justement à chaque fois être bien plus sensible à tout ce qui peut s'exprimer comme vecteur potentiel d'une sortie de cette répétition. Et je rappelle – je ne crois pas que, dans votre assistance il y en ait beaucoup, il y en a peut-être quand même qui ont assisté aux présentations de malades de Lacan ! C'était, je dois dire, pour nous – nous, j'entends les internes, pour simplifier –, c'était très surprenant ! Très surprenant pourquoi ? Vous savez, Lacan était très fin clinicien, il connaissait admirablement la clinique psychiatrique. Il s'en foutait complètement. Ça ne l'intéressait pas, au point qu'il lui arrivait de passer complètement à côté du diagnostic. De telle sorte qu'à la fin, il fallait lui dire, mais quand même, ce type ou cette madame, c'est ceci, ou c'est ça, ou c'est pas ça ! Il le reconnaissait volontiers, mais ce n'est pas ça qui l'avait intéressé. Et je pense que nous pourrions déjà faire un progrès en nous interrogeant sur : mais qu’est-ce qui l'intéressait lui dans ces cas ? et dans sa façon d'interroger, et dans le cheminement. Lorsque, – il m'est arrivé bien sûr de faire des présentations de malades –, j'allais toujours dans le sens d'une vérification de la clinique et de l'établissement d'un diagnostic. Autrement dit, j'étais tout ce qu'il y a de plus raisonnable et de plus classique. Cette démarche n'était absolument pas celle de Lacan. Et donc il y aurait sûrement, puisque nous avons, grâce à Marcel Czermak, les retranscriptions d’un très grand nombre… d'un certain nombre d'observations, d'examens de malades qu'il a faits, d'essayer de suivre, qu'est-ce qu'il cherchait là, chez son patient ? Lui, qu'est-ce qu'il voulait ? Et je crois que cela pourrait, sur ces problèmes, pour ceux qui le voudraient, inaugurer un travail intéressant.   Voilà donc ce que je voulais vous dire, j'ignore complètement, je ne sais absolument pas si ce que je vous dis vous paraît aller de soi, si ça vous paraît absolument déjà acquis, et si je ne fais que redire des…, ou être dans les truismes, ou bien si au contraire j'apporte quelque aliment à votre jugeote, à votre réflexion ? Peut-être est-ce que vous voudrez bien dans le temps qui nous reste, – il en reste quand même un peu – peut-être est-ce que vous voudrez bien le dire ?  

Michel Daudin : Je crois qu'effectivement la richesse de votre exposé va, je l'espère, permettre quelques interrogations dans la salle...  

Charles Melman : ... ou à la table !  

Michel Daudin : … ou à la table ! Bien, je vais peut-être commencer alors puisque vous m'invitez à prendre la parole...  

Charles Melman : Voilà.  

Michel Daudin : Effectivement, quand vous dites « Qu'est-ce qu'il cherchait ? Qu'est-ce qu'il voulait ? ». J'ai un peu envie de dire que la démarche du clinicien, du moins telle que pour ma part - et je pense qu'un certain nombre de collègues partage un peu cette interrogation – c'est une interrogation qu'on se pose un peu à nous-mêmes. Qu'est-ce qu'on cherche ? Qu'est-ce qu'on lui veut ? Qu'est-ce qu'il nous veut ? On reste là dans une dimension où certes on est marqué par notre savoir psychiatrique, qui effectivement est des fois d’ailleurs celui de l'observation — quand on a pu voir le patient se déplacer dans l'établissement, ou dans le parc, à l’époque où c'était un asile, ou autre ; mais en même temps ce n'était pas ça qui figeait notre questionnement, et les hypothèses qu'on pouvait émettre étaient un peu inconnues de nous-mêmes. C'est-à-dire qu'effectivement il y avait là, – je crois que c'est ce que nous tentons de faire, également ce que tentent nos collègues dans les présentations cliniques –, cet essai comme cela, d'aller à la recherche d'un certain questionnement, qui justement ne vient ni entifier le sujet, ni introduire une nosographie, et qui parfois peut provoquer comme ça en même temps un certain malaise. Mais je dois dire que pour la plupart des cas semble-t-il, dans les présentations que nous faisons, je n'ai pour ma part pas l'impression – peut-être est-ce de ma position de clinicien – d’être dans une position très différente de ce qui se passe quand on est dans une présentation clinique, et que ça donne une orientation qui justement est à la surprise aussi bien du patient, de l'équipe, que de soi-même. Néanmoins, cette « méthode », entre guillemets, pour qu'elle puisse être respectée et validée, il faut qu'elle respecte tout à fait la position des uns et des autres – je parle des personnes qui travaillent dans l'institution – et qu'il n'y ait pas là, comme cela, pour le coup, un peu comme vous le disiez, une carte forcée de la clinique – c'était un peu comme ça que ça se disait –, c'est-à-dire que la clinique viendrait apporter la preuve de ce qu'on aurait pu déjà penser avant. Voilà pour ma part en tout cas ce qui me paraît vif dans une clinique quotidienne, comme ça l’est souvent dans la mienne – même si des fois on est pris dans des contingences qui nous baladent un peu, à notre corps défendant ou dépendant. Voilà donc, pour ma part, ce que j'aurais envie de dire. Maintenant je vais quand même laisser parler de nombreux cliniciens, ou de nombreuses personnes qui peuvent être ou désorientées par vos repères, ou nos repères pour ceux qui les connaissent mieux, et qui peuvent avoir quelques questions à poser par rapport à cela.  

Françoise Blanadet : Oui, je voulais rebondir sur votre dernière question. Il me semble que, la réponse qui m'est venue c'est que, ce que Lacan recherchait, c'était la surprise. C'est-à-dire, le point pivot, c'était quand même, dans une position comme ça de non savoir, faire surgir quelque chose : la surprise, la rencontre avec un signifiant, un signifiant peut-être nouveau ? C'est-à-dire ne pas attendre cette répétition, cette jouissance d'une certaine manière, de la parole, mais faire rupture. C'était un entretien unique, avec des médecins qui indiquaient la patiente et qui avait un transfert sur Lacan. Lacan était dans une position, me semble-t-il, de non savoir, et effectivement, de tenter de produire quelque chose d'une rencontre et d'une surprise. Moi, c'est ce qui m'est venu comme réponse à votre question.  

Charles Melman : Alors ceci, si c'est le cas, il faudrait expliquer pourquoi il était fréquent que les présentations faites par Lacan soulèvent, de la part de l'entourage psychiatrique, provoquent dans cet entourage des manifestations d'hostilité rageuse.  

Françoise Blanadet : Hum, hum ... mais oui ! 

  Charles Melman : Oui. J'apprécie que vous disiez « oui » ! Mais il y aurait à essayer, c'est pas seulement, la surprise par elle-même n'est pas forcément dérangeante, elle peut aussi bien être agréable, et piquante etc. mais ce qu'il y avait, c'est combien de fois, il y avait des réactions de la part des médecins par exemple, qui avaient été amenés à s'occuper de tel malade et qui avait été vu à la présentation, pour dénoncer les méfaits, le caractère outrancier etc.  enfin, il y a là des réactions qui dépassent ce qui aurait été simplement l'allergie que pouvait susciter Lacan dans le milieu, mais qui tiennent justement à ce qui était sa façon d'examiner. Car il leur arrivait souvent d'être présents au cours de cet examen, et les échos qui venaient ensuite étaient vraiment de personnes atteintes par..., alors qu'il était avec ses patients toujours, comment dirais-je ?, il n'avait..., il n'était jamais ni brutal, ni arrogant, il était toujours extrêmement courtois et respectueux. Il n'y avait aucune violence exercée sur le malade. Or ce qui revenait comme échos, c'était la violence extrême de son examen, et ça aussi c'est un point que je n'ai jamais, comment dirais-je, très bien pu comprendre. Y compris, je dois dire Daumézon, qui a assisté à un certain nombre de présentations de Lacan. Alors, ou bien il disait «  c’est classique, il n'apporte rien, il examine de façon absolument traditionnelle », ce qui n'était pas exact, ou bien il y avait justement ce sentiment d'être allé là où il ne fallait pas, quelque chose comme ça, alors que… Enfin !  

Intervenante : Sur le patient, Monsieur, quels effets produisait-il ?  

Charles Melman : En général, c'était plutôt de bons effets. C'est-à-dire que le patient était plutôt content, mais il pouvait arriver qu'évidemment, dans certains cas, – ce n'était pas une régularité garantie –, il arrivait que le patient en sorte irité, hostile, et ayant lui aussi le sentiment qu’il avait été pris dans des régions qu'il ne souhaitait pas aborder. Mais le plus souvent le patient était sensible à l'honneur qui lui était fait, quelque chose comme ça. Vous voyez que la psychose n'empêche pas d'être raisonnable !  

Françoise Blanadet : Est-ce que c'était parce que, c'était effectivement des entretiens, qui n'étaient pas de vérifier une clinique. 

  Charles Melman : Je ne sais pas, moi je veux bien... Jean !  

Jean Garrabé : Je dois dire que ta dernière question, je crois que ce serait très intéressant de voir effectivement ce que Lacan recherchait. Moi je n'ai eu qu'un seul malade qui ait été examiné chez Daumézon et je dois dire que le sentiment que j'en ai eu, c’est que c’était … je dis que non, c'était un examen très classique, et qu’effectivement pour le malade ça été très bénéfique. Peut-être parce qu'il était très fier effectivement d'avoir été examiné par le docteur Lacan etc. Mais peut-être,  sur ce que tu nous as dit, je voudrais quand même… tu as développé l'idée que la psychopathologie était contaminée par ce biais que ça part de l'observation médicale, mais moi j'ajouterais tout de suite : dans notre culture. Culture, qui depuis Aristote et Hippocrate – croit que les maladies en général, sont des objets naturels et qu'on peut donc les décrire, les classer, etc. alors que depuis quelques années, on sait que pas du tout, que ce sont des objets culturels. Culturels, et que donc peut-être il y a une autre clinique dans les autres cultures ? Ça c'est un truc qu'a beaucoup travaillé Georges Lantéri Laura par exemple…, et que notre culture d'ailleurs se modifie, actuellement, nous sommes dans l'ère des neurosciences, de telle sorte qu'effectivement l'observation clinique, c'est de l'imagerie cérébrale, pour l'ensemble de la neuropsychiatrie. Alors, tu as été très pessimiste, tu as dit que du coup la psychiatrie a disparu. Moi, ce que je trouve plutôt amusant, c'est qu'avec les neurosciences, on redécouvre des trucs qui avaient été décrits par la clinique. Je lis très sérieusement par exemple ces examens de malades hallucinés où les neuroscientifiques découvrent avec stupeur que quand le malade dit qu'il entend les voix dehors ou qu'il entend les voix dedans, ce n'est pas la même zone cérébrale qui s'éclaire. Ce qui pour nous est une évidence, et il n'y a pas besoin d'aller le vérifier ! Mais pour eux, c'est une découverte. Donc je crois qu'il y a quand même un espoir, qu'à force les neuroscientifiques apprennent un peu de clinique psychiatrique, et y reviennent. En tout cas c'est le voeu que je formule.  

  Charles Melman : Très bien, très bien.   Intervenant : C'était à propos du terme que Michel Daudin a prononcé, le terme hypothèse, que tu as placé du côté du médical ou du thérapeute, or ça m'a fait penser à l'article qu'a fait dernièrement l'article de Marika Bergès-Bounes, sur la clinique de l'hypothèse, vue par Jean Bergès. Parce que la clinique de l'hypothèse par Jean Bergès, c'était de donner la possibilité au petit patient ou à ses parents, d'exprimer une hypothèse, lui. Je me demandais justement si, est-ce que finalement dans cette présentation de Lacan, est-ce que peut-être, ce qui pouvait satisfaire le patient, c'est qu'il lui laissait la place de, lui, faire une hypothèse. Ce serait intéressant de reprendre la question de l'hypothèse avec ce qu'a écrit Marika dans un article qui vient de paraître. Je ne sais plus si c'est sur notre site…   Charles Melman : Très bien. Mais en tout cas, ça nous ramènerait, dans le contexte actuel, et sauf effectivement à..., je ne crois néanmoins pas qu'on puisse attendre de ce qui s'intitule, de façon absolument inouïe : « neuroscience »… — c’est inouï, c'est un abus, un abus sémantique exorbitant, de la part de gens qui justement voudraient se présenter comme scientifiques…, qu’on dise « neuroscience » ! Quelle est la différence entre neurologie et neuroscience ? Un jour il faudra rapidement s'amuser avec ça. Pourquoi le logos..., comment le logos est devenu la science ? Parce que moi, ce que je vous raconte, et qui a l’air d'être en pointe, ça ne peut paraître en pointe que pour une raison très simple : c'est que nous ne savons plus lire ! Et ça aussi, ça été très bien dit par Heidegger, nous ne savons plus ce que ça voulait dire le logos. On a traduit ça part raison, voire par science..., mais le logos pour les Grecs, ce n'était pas du tout ça ! C’était infiniment…, les usages du terme sont infiniment plus subtils, plus importants, et se rapportent très précisément à ce à quoi – on paraît aujourd'hui un uluberlu quand on parle des lois du langage – alors qu'eux, ils ne parlaient que de ça. C'était du logos ou pas. C'est-à-dire : c'était conforme ou pas, à ce que le langage permet d'établir. C'était de cet ordre-là, ou pas de cet ordre-là. C'est-à-dire de l'ordre de ce que vous voudrez, du sentiment, du rêve, de l'injonction… Est-ce que c'était du logos ou pas ? Et donc, c'est bien pour ça, vous voyez de quelle manière le premier numéro de la revue que Lacan a fondée – la première qui s'appelait La psychanalyse tout simplement –, le premier article de la première revue, c'était la traduction, que lui Lacan a faite, d'un article de Heidegger, qui s'appelle « Logos », article auquel je vous renvoie, et où vous verrez tout ce que Heidegger, d'une position philosophique, a pu développer sur la question du logos et de ses effets. Et où vous verrez combien…, enfin, vous ne pourrez qu'admirer comment une démarche philosophique a pu mener je dirais, au bord, de ce que par ailleurs la clinique vient illustrer. Et pour ceux que ça amuse, il y a une traduction, qui a paru il n’y a pas très longtemps, du traité d'Aristote sur l'âme « Perì psykhês », et qui est traduit par une Heideggerienne. Mais ça change tout. Ça change complètement, à partir du moment où vous faites sauter le terme de substance pour traduire ousia/ουσια, où vous mettez le mot « étant » à sa juste place etc. mais vous verrez que…, de quelle manière, d'un seul coup…, est-ce que cette traduction à la Heidegger est juste ?, en tout cas c'est l'étude la plus savante qui jusque-là ait été faite, justement du logos aristotélicien. Vous verrez combien ça modifie complètement ce qui semblait jusque-là, sur la question qui n'est pas négligeable, de l'âme, Perì psykhês, ça déplace complètement les lignes de force et les perspectives. Et donc la bagarre qu'il faut faire aujourd'hui. Vous paraissez un forcené, ou un uluberlu simplement pour rappeler ce qu'il y a à l'origine du monde classique !   Bon, on en a assez pour ce soir ? Allez, bonsoir.   La salle : Merci M. Melman.   Transcription : Monique de Lagontrie